Face à chez moi se dresse, au loin, la grande barre des Dourbes solidement amarrée au Pic de Couard. 17 kms de long (la plus grande d’Europe dit-on), elle surligne l’horizon entre ciel et terre à 1730 m d’altitude. Chaque soir son grès blanc s’illumine des couleurs du soleil couchant. Toutes les palettes de couleurs y passent au gré du jour, de sa limpidité, de ses éventuels orages. Voilà bien longtemps que ce massif « m’appelait » et jeudi dernier j’ai pu gravir et arpenter la crête, sur 12 kms, du Pas de Tartonne au Pas de la Faye (prononcer faille. le ‘Pas’ dit le ‘Passage‘) . En découvrant par le haut le « trou Saint Martin » qui deux fois l’an, le 11 novembre et le 30 Janvier laisse passer le soleil, très bas à ces saisons, pour venir illuminer une petite minute le rocher Saint Martin bien en contrebas.
Le décor étant planté, j’en viens au sujet de mon billet. Allez donc savoir pourquoi, dans mon semi sommeil, la nuit suivante cette marche et cet environnement m’ont fait pensé à Rahab la prostituée et à… Anne Soupa. Avant de vous dire pourquoi je vous présente ces deux figures de femmes :
Rahab la prostituée
Rahab est une femme marginalisée dont l’histoire est aux chapitres 2 et 6 du livre de Josué. Elle aurait vécu vers le XII s. av. J.-C. Non seulement elle se prostitue, mais en tant que cananéenne elle est exclue de la société et loge dans une soupente sur des remparts de la ville de Jéricho avec pour seule ouverture une petite fenêtre donnant sur l’extérieur de la ville. Ville que les hébreux veulent subtiliser aux cananéens.
D’une certaine manière, du haut du rempart, elle se situe à la frontière en la société fermée qui l’exclut et le monde extérieur. Au dessus des mêlées, elle peut voir loin, autrement.
Avant d’attaquer Jéricho, les Israélites envoient des espions dans la ville. Ceux-ci « logent » chez Rahab. Le roi de Jéricho est mis au courant de leur présence et envoie ses soldats chez elle. Habilement, elle cache ses invités. Les soldats de Jéricho ne vérifient pas la maison de Rahab et partent sur une fausse piste qu’elle leur donne sans savoir dans quelle direction aller.
Une fois les soldats partis, Rahab négocie avec les espions israélites. Elle sait que l’invasion arrive. Bonne stratège, elle demande que sa famille soit sauvée de l’attaque des Israélites puisqu’elle vient de sauver la vie des deux espions. Elle ne propose pas seulement un pacte, mais une véritable alliance avec une profession de foi basée sur la foi juive.
Les espions lui proposent de laisser accrocher une corde rouge à sa fenêtre, par laquelle ils s’enfuient, pour que sa maison soit épargnée lors de l’attaque. Rahab et sa famille sont sauvées du massacre et elles deviennent partie prenante du peuple d’Israël. Cette femme étrangère, prostituée, célibataire va devenir aïeule du Christ puisque nous la retrouvons avec trois autres femmes peu recommandables à l’époque : meurtrière, étrangère, aventureuse, et celle de Marie, dans la généalogie de Jésus, composée essentiellement d’hommes.
Comme Incarnation, c’est du concret !
Anne Soupa l’impertinente
Anne Soupa est une bibliste théologienne fondatrice du Comité de la jupe. On connait son histoire avec l’archevêque de Paris qui affirmait en 2008 « le tout ce n’est pas d’avoir une jupe, c’est d’avoir quelque chose dans la tête ». Sympa ! Propos intolérables et misogynes desquels va naître ce fameux comité de la jupe sous la houlette de Christine Pedotti et d’Anne Soupa.
De ce comité surgira la Conférence des Baptisés de France.
Cette semaine Anne Soupa fait parler d’elle en se portant candidate comme archevêque de Lyon. Sacré pavé dans la mare du cléricalisme et de ce monde d’hommes, pour certains en robe d’un noir joyeux ! Evidemment aucune chance que sa démarche aboutissent car ces mêmes hommes ont écrits leur propre lois : seul un d’entre eux, mâle donc, peut accéder à la prêtrise et donc au gouvernement de l’Eglise.
Pourquoi alors cette candidature féminine ?
« Je veux montrer aux femmes qu’elles sont capables de demander des responsabilités dans l’Église, car souvent, il existe une intériorisation de leur condition seconde et elles ne se croient pas compétentes. La capacité de prendre la parole au sein de l’Église est essentielle. Et puis, j’aimerais que le débat avance quant à la question de la distinction entre le ministère ordonné et la gouvernance de l’Église. Le pape François a demandé aux théologiens de travailler sur ce point, et je considère qu’il ne s’est rien passé. (depuis 2013 !! )
Anne Soupa dit vouloir déposer sa candidature maintenant « parce que l’Eglise catholique continue à nourrir un cléricalisme pourtant dénoncé par le pape: abus en tous genres, sacralisation du prêtre, esprit de division …«
Des remparts, des failles et du rouge
Récapitulons le puzzle : Dans ces trois présentations nous nous trouvons devant une muraille, un rempart : celui des Dourbes, celui de Jéricho, et celui du cléricalisme de certains clércs catholiques.
Il y a aussi le trou Saint Martin et la fenêtre de la maison de Rahab à Jéricho; Ils sont comme des brèches, des failles, des ouvertures par où surgit l’inédit et la nouveauté. Mais ce sont des ouvertures toutes physiques, concrètes. Et l’appel d’Anne Soupa est d’une autre ampleur : ici ce sont des remparts d’hommes bien hermétiques et clos sur eux-mêmes, sans ouverture aucune tant ils sont engoncés dans des certitudes de toujours, positionnés dans un mépris de la femme étonnant (un certain aumônier militaire -un psycho-rigide sans doute pour rester poli- la traitant de « connasse » et d’autres de « fille du diable » !)
Et il y a dans ces trois « lieux » une dimension symbolique forte : la couleur rouge. Celle du ruban accroché à la fenêtre de Rahab pour être préservées, elle et sa famille, lors de l’attaque, celle du manteau de St Martin et celle de la couleur épiscopale des évêques (tous deux symboles d’un rang haut placé dans l’armée ou dans l’Eglise chez les dignitaires de l’empire romain). Je n’ose m’aventurer, sans compétence, dans cette couleur sang en ce qui concerne le sang des règles féminines qui fait tant peur aux hommes. (Mais il y a quelque chose à travailler dans cette symbolique me semble-t-il…)
C’est aussi par ce sang que le Christ sauvera le monde . Rahab est le symbole de ce salut pour elle et sa famille.
A bas les murailles qui divisent !
Actualisons l’histoire de Rahab avec le (la ?) geste d’Anne Soupa : Tout comme Rahab, Anne Soupa est une médiatrice qui aide aux passages. C’est une personne qui tente de faire passer, de faire brèche pour que les enfermements dans lesquels se trouvent bien des clercs s’ouvrent à d’autres personnes qu’eux-mêmes, c’est-à-dire la moitié féminine de l’humanité, absente du fonctionnement ecclésial.
La lucidité et l’impertinence n’ont que faire des règles établies quand celles-ci sont les fruits de traditions mortifères établies par des mâles d’une autre époque.
Toutes les murailles, aussi impressionnantes soient-elles, sont des symboles de l’orgueil des hommes et quand l’heure est venue de mettre à bas la prétention de certains clercs, rien ni personne ne pourra arrêter leur écroulement; Affaire de temps mais surtout de fidélité un Esprit d’entreprise, d’ouverture et de paix. Rahab « reçoit les espions en paix » dira l’apôtre Paul.
Il y aura toujours une brèche dans les remparts des certitudes et des à-peu-près pour défier la suffisance de certains et retirer les œillères de leurs yeux. Ce caillou dans la chaussure pourpre empêche de marcher droit ou par habitude; ces taches sur les robes épiscopales et cléricales ouvre un passage au cœur de toutes les orgueilleux mépris … et relativisent toutes les tâches que s’octroient certains faiseurs de sacré.
Anne est une (un) « pas-sage » qui dénonce l’absurde et le pouvoir fait d’autoritarisme souvent hautain.
Comme Rahab, Anne a su saisir le moment opportun, décisif pour décider de son geste. Comme le soleil qui ne passe que deux fois par an et une petite minute dans le trou St Martin !
Prophète de son temps, elle montre le sens de la vie : loin des clans, des appartenances, des vérités imposées par d »autres, elle invite, comme Rahab, à choisir son camp : celui d’un Dieu qui libère, donne vie ou celui, rabougri et mortel, qui pue la suffisance et l’exclusion dans un entre-soi moribond.
J’ai choisi le mien. N’en déplaise à tous les pisse-vinaigres et les culottes de zinc.
Secouer le cocotier
La Pentecôte est pour moi cet appel à faire ce pas, ce pas-sage, vers l’inconnu qui se découvre au cours d’un chemin toujours ouvert ou d’une faille qui dérange. Comme pour Rahab et Anne, l’Esprit m’invite à écouter et entendre ce que Dieu « veut » pour les hommes en relisant l’Histoire et mon histoire, à croire en l’impossible et à agir avec Lui pour que cet incroyable advienne. L’heure n’est plus aux croisades ou aux conquêtes mais de faire place à l’Inédit avec celles et ceux, qui, comme Rahab et Anne, proposent des ouvertures là où tout semble fermé… et ce, dans la confiance et dans la paix.
La Femme serait-elle l’Avenir de l’Eglise ? je le pense très fort !
Puissent-elles être nombreuses « à candidater partout où elles se sentent appelées, que ce soit à devenir évêque ou à toute autre responsabilité qui leur est aujourd’hui interdite« .
Décidément, la marche et le rêve sont des portes étranges pour lire Dieu dans la vie ou les événements !!
Comme un funambule sur le fil
sur la crête des Dourbes j’ai marché
et je ne suis pas tombé …
A tutoyer le ciel entre deux vallées
j’ai trouvé ma maison
d’anémones par milliers
elle était pavée
Par la béance du trou St Martin
ciel et terre était réunis
et moi dans cet entre-deux
J’accueillais le Monde
Celui des hommes
celui de Dieu.
A toutes et à tous bonne fête de Pentecôte !
« Que l’Esprit trouve un large espace d’accueil en chacun de nous. «
Si vous trouvez que ce geste prophétique qu’a posé Anne Soupa a du sens pour vous, et que vous ne l’avez pas encore fait, vous pouvez signer la pétition avec le lien ci-dessous.
https://www.pourannesoupa.fr/?fbclid=IwAR0U0_lnCTMlDR0Gx1mqVoCkIKvdMD0vPzI0wunGQy1XbGepuab6i2-vuwQ