Il me faut me déconnecter

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C’est non sans appréhension que, chaque matin, j’ouvre ma boite mail. En effet, la multiplicité des appels aux dons et aux signatures pour toutes sortes de raisons louables, nobles  et nécessaires me submerge littéralement. J’ai l’impression que toute la misère du monde me tombe dessus en début de journée. Déprimant !
Aller sur les réseaux sociaux est du même acabit. Chacun y va de son engagement humanitaire et m’invite à signer, signer, signer….
Répondre aux appels multiples de manifs diverses (violences, urgences sanitaires, élections municipales et autres soutiens et mobilisations) m’épuisent à l’avance.
Et pour couronner le tout, les médias assènent leurs mauvaises nouvelles ad nauseam  à toutes les pages ou toutes les émissions.
Et j’en arrive à me culpabiliser de ne pas faire ce qu’il faut ou de me désinscrire de toutes ces sollicitations… un comble !
L’agitation humaine effervescente et négative des medias me sa-tu-re !
Overdose !
Il me faut me déconnecter.

Où se situe le problème ?

Bien qu’importants, ces appels me détournent d’un essentiel plus vital. Sous couvert d’altruisme, de générosité et de solidarité, ils me « justifient » dans mes choix et mes décisions. En soit c’est réconfortant de se sentir « appelé » à participer à une meilleurs vie sociale, politique, environnementale ou égalitaire. Quand on peut peu, le moindre geste de solidarité peut s’avérer fécond quand il rejoint des millions d’autres signatures.

Mais en même temps ils me déconnectent d’une réalité plus intérieure, moins spectaculaire peut-être mais ô combien plus réelle et urgente. La tentation a toujours été grande pour moi d’être dans le faire, l’activisme, le service.
L’idéal me direz-vous c’est d’allier les deux : action et contemplation ! Effectivement. Là se situe, je crois le combat : à la fois de spiritualiser mon action et de concrétiser ma « spiritualité ».
Ne pas décoller du réel et ne pas sombrer dans l’activisme à tout crin. Mais cet enjeu-là n’est-il pas l’affaire de toute une vie ?

Prioriser une vie d’intériorité

le Haut Vernet

Alors où se situe cet « essentiel plus vital » ? Je crois qu’il y a à prioriser un lieu d’intériorité et de dialogue à l’intime à partir duquel toute action pourra trouver sa plénitude de sens et de joie. Je le sais et tout le monde le pressent. Pourquoi cette difficulté à passer à l’acte pour prendre une demi-heure de méditation, se retirer dans sa chambre haute ? L’action serait-elle alors plus visible et gratifiante ? Avec elle, se contenterait-on de peu, de vite et d’à-peu-près  ?
Il me faut retrouver la Source en moi qui me permettra de vivre les événements de manière paisible et ajustée, de les recevoir dans la patience et la disponibilité.

Se reconnecter avec la nature

Cytise

La randonnée de la semaine entre le col du Labouret et le Haut Vernet m’a une fois de plus permis de me reconnecter. Comme dans un condensé de cet essentiel, comme d’entrer dans un monastère à ciel ouvert.
Il faut d’abord s’élever : plus d’une heure de montée ininterrompue dès le départ pour quitter route et parking et prendre ainsi de la hauteur et abandonner les trépidations de la société.
Cette lente ascension permet une première connexion avec la nature. Il me faut du silence dans ce style de pause. Pour mieux écouter et « voir » ce dialogue avec ce qui m’environne.  Les oriflammes des cytises, les bannières des peupliers qui se bercent au murmures du vent, le chant des oiseaux, l’aboiement des chiens patous qui nous forcent à bien contourner les troupeaux aux sonnailles tintinnabulantes, le sentier forestier qui débouchent sur de soudaines clairières envahies de pâquerettes, de gueules de loup sauvages, d’orchidées des montagnes et de fleurs de coucou, comme la surabondance des fleurs des pâturages dont ce n’est pas encore l’heure de la fenaison, le vol des abeilles qui se gavent et se noient dans leur pollen, tout m’est invitation à habiter et à demeurer pendant ma marche dans cette contemplation à l’intime de ce don qui m’est fait. Connexion qui devient communion. Communion devient enracinement nourricier et désaltérant.
Paradoxe : L’horizon intérieur à la fois s’élargit et se concentre tout comme celui du lieu qui me fait voir le Massif du Cousson d’un autre point de vue ou la montagne de la Baume tout au loin, à peine visible certes, mais que les yeux atteignent.

Se reconnecter avec les hommes et l’Histoire.

Ici, en 218 avant JC, venu d’Espagne, serait passé Annibal avec plus de 60 000 hommes, cavaliers et fantassins et les quarante éléphants qui ont fait sa célébrité pour attaquer Rome. Folie d’un des plus grands stratège militaires de l’Histoire.
Ici, l’Histoire retiendra le maquis des résistants pendant la guerre 39-45 pour lutter contre la barbarie et la tyrannie.
Ici, les habitants ont restauré l’église de St Pancrace du IX éme siècle, désormais extérieure au village. Sauvegarde d’un patrimoine à transmettre, celui des ancêtres, en fidélité à l’Histoire et à eux-mêmes.
Ici, à une ou deux  vallées plus loin, s’est abîmé en 2016 l’avion de la Germanwing avec 150 personnes à bord, de 19 nationalités différentes. L’enquête avait démontré que le copilote souffrant de lourds problèmes psychologiques, avait précipité l’Airbus volontairement au sol. Une stèle commémorative rend mémoire aux victimes et le lieu a été sanctuarisé.
Folie réelle d’un homme qui entraîne dans sa mort des dizaines d’innocents.
Folie des responsables qui l’autorisent à reprendre les commandes d’un Boeing par pur profit.
Les ex-voto et les fleurs disent des cicatrices indélébiles que la souffrance de l’absence ne guériront jamais.
Ici, dans le petit village du Haut-Vernet, Pancras (surnom qui lui fut donné car il pratiquait la lutte romaine) a devisé avec nous nous racontant sa vie, ses engagements municipaux, le climat…).

Il s’est passé bien des événements dans ces lieux apparemment déserts, habités seulement  par quelques amoureux de la Terre, dans l’humble et rude présence des travaux saisonniers. Sans bruit, ils l’ont façonnée, cultivée, humanisée dans la persévérance, les morsures du froid ou les chaleurs estivales.
Comment ne pas voir et entendre l’âme de cette vallée ? Un simple marcheur pourra y passer pour faire la guerre aux autres ou se la faire à lui-même ou pour succomber à sa folie ou celle du Monde.
Il y a d’autres morts à soi-même pour Vivre. Il y a d’autre folies, déroutantes, détonantes qui nous mettent en chemin de libération. Il y a d’autres fuites que celles de l’activisme ou de la célébrité.

Se reconnecter avec moi-même

Chapelle St Pancrace, seule dans son écrin de verdure

Ce bol d’air m’est vital pour me retrouver et quitter mes lieux de désolation de tristesse et de chagrin alimentés par de vaines futilités ou des connexions chagrines qui absorbent temps et énergie.
Y-a-t-il une Vie plus grande que la vie biologique qui nous appelle à prendre de la hauteur, à discerner le beau et le bon qui nous fait grandir ? A les accueillir simplement et tout bonnement comme le soleil de nos jours ?

Se reconnecter avec Plus Grand que moi.

Facile de découvrir, d’admettre ou d’imaginer ce Plus-Grand-que-moi dont j’ai besoin. Non un besoin maladif mais un besoin vital de l’amour unifiant : celui de la filialité qui me tire de mes ornières et de mes marécages : « Tu as du prix à mes yeux et je t’aime ».
Mais découvrir et accepter que ce Plus-Grand-que-moi a besoin de moi c’est une autre paire de manche ! Ce Dieu, que Christian Bobin appelle le Très-bas, m’invite à vivre la compassion pour lui.
« Pratiquer la miséricorde envers Dieu, car Il en a besoin dans un monde qui lui fait mille misères et souffrances, par ses errances, ses arrêts de croissance, ses blessures, en l’aidant en chacune de ses créatures comme en soi-même, c’est certainement là le rôle le plus royal de la liberté humaine « . affirmait Florin Callerand de la Roche d’or.
N’est-ce pas là en fin de compte que se situe mon essentiel: ma grandeur et ma dignité d’homme ?

C’était le cri d’Etty Hillesum dans les camps de concentration : « Je prendrai pour principe ‘d’aider Dieu’ autant que possible, et si j’y réussis, eh bien je serai là pour les autres aussi…Oui, mon Dieu, tu sembles assez peu capable de modifier une situation finalement indissociable de cette vie. Je ne t’en demande pas compte. C’est à toi, au contraire, de nous appeler à rendre compte un jour. Il m’apparaît de plus en plus clairement, à chaque pulsation de mon cœur, que tu ne peux pas nous aider, mais que c’es à nous de t’aider et de défendre jusqu’au bout la demeure qui t’abrites en nous… Je vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose cependant m’apparaît de plus en plus clairement : ce n’et pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t ‘aider- et ce faisant, nous nous aidons nous-mêmes (‘une vie bouleversée’ – 12 Juillet 1942).

Dans notre monde déboussolé où fusent de tous côtés les appels à la fraternité et à la liberté, s’occuper d’abord de Dieu, c’est s’occuper de moi. Prendre soin  de Lui et de moi c’est prendre soin du Monde qui a plus besoin de ma ‘santé spirituelle’ que de mes services et de mes engagements, mais ne les exclut pas.
Entrer en rapport à ce que l’on vit à l’intime, avec ce Très-bas qui y fait sa demeure, et y demeurer serait le chemin pour ne pas sombrer dans la schizophrénie, l’épuisement ou la dispersion ?
Entrer dans le recueillement… re-cueillir une nouvelle fois encore le pain pour la route.
En symbole de cette cueillette, j’ai rapporté un plan de cytise prélevé dans la forêt et l’ai planté dans mon petit jardin … pour entretenir mon jardin intérieur.

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