« Pars, va vers toi… »

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Cascade de la pie dans les Clues de Verdache

En octobre 2018, j’écrivais à mes enfants : « … La nature se pare de tous ses atours en peignant ses feuilles automnales qui viendront tapisser le chemin du Roi juste avant son Passage. Comme pour une Fête-Dieu. Jaune, orange, mordorée, fuchsia, violine, toutes les couleurs sont prêtes pour l’honorer.
Sûr ! Il passe aussi par là. Il arpente toute sa création soir et matin pour voir si, pour demain, le chemin du randonneur est prêt.
A quoi servirait tous ces efforts pour Dieu seul si l’homme ne s’en émerveillait pas ? Car il s’agit de l’ouvrir à la Beauté. Il en a tant besoin ! Saura-t-il voir son Dieu qui se démène ?… »
Et, en écho, dans ma méditation du jour je recevais cette confidence exprimée par Jean de La Croix :  » En hâte, il a passé par ces bocages et les parcourant du regard, par son seul visage, il les a laissés vêtus de beauté « .

Nous sommes tous des artistes

au loin, l’Estrop

Ma nouvelle marche hebdomadaire au col de Clapouse à partir de Barles a encore une fois confirmé la nécessité pour moi, comme pour tout homme je crois, d’apprendre à ouvrir les yeux pour voir la Beauté.
Quelle féerie !  Le coteau en face se drape d’un tablier brodé d’or à faire pâlir les bigoudènes si fières de leur costume breton : des genets à profusion émaillent son adret. Mais en ce printemps ce sont les abondants éclaboussements des fleurs, trèfle, sainfoin, serpolet, asters des alpes, bugles violettes et blanches, gueules de loup, orchidées, armoises argentées qui distillent sans arrêt leur parfum et exhibent leurs joyaux. Du côtés de la bergerie de la Chine, les cris des marmottes encore frileuses et peureuses disent leur présence et nous signifient que nous les dérangeons.
Bergson disait : « Si la réalité venait frapper directement nos sens et notre conscience et si nous pouvions entrer en communication immédiate avec les choses et avec nous-mêmes, je crois bien que l’art serait inutile, ou plutôt que nous serions tous artistes car notre âme vibrerait alors continuellement à l’unisson de la nature. « 

Nous sommes tous des migrants

Mais il est une autre réalité avec laquelle je suis entré en conversation lors de cette rando.
Le petit bourg de Barles est presque désertique en ce début de matinée. Pour nous y rendre nous avons du faire un détour par le col du Labouret car la route directe subissait une nouvelle fois, un éboulement.
Cette commune qui a eu près de 600 habitants n’en possède plus qu’une cinquantaine aujourd’hui ! Enclavée de tous côtés par de profondes vallées, de hauts sommets et de dangereux torrents à traverser, vivant longtemps en autarcie, n’ayant des possibilités de communications que par des sentiers muletiers (la première route date du XIXéme siècle), on comprend que la seule beauté des lieux ne pouvait nourrir ses habitants. Ce village illustre le fort dépeuplement du département des Alpes de Haute-Provence et les fortes migrations qui ont eu lieu.

Pourtant, que la montagne est belle !

Au col de Clapouse

C’est en montant vers le hameau de Vaux qu’on pourra visualiser ce problème de désertification massive et de fuite vers des lieux plus hospitaliers. Ici une centaine de personnes vivaient, en autarcie complète nous rapporte un résident saisonnier qui retape une des trois masures encore debout au milieu des ruines des alentours. Son arrière grand-mère faisait classe dans la petite école aux élèves qui descendaient des bergeries dispersées dans la montagne. La chapelle St Joseph a été retapée avec sobriété. Les murs des sentiers muletiers aux énormes moellons, patiemment édifiés par les générations précédentes s’effondrent …

Chapelle st Joseph au village de Vaux, restaurée


Un des rares contacts avec le monde extérieur était la venue des troupeaux qui montaient dans les alpages en provenance de la plaine de Crau, de la région de Marseille ou d’Aix-en-Provence. Cette ouverture au-delà de la vallée et le besoin de main d’œuvre dans ces villes pleines d’attraits serait là une des raisons des désertifications des lieux. Industrialisation aidante, ils sont descendus au milieu du XIX éme siècle pour grossir une main d’œuvre bon marché et exploitée.

Nous sommes tous des passants

vers le col de Clapouse

Comment ne pas penser aux migrations actuelles ? De France vers les autres pays et continents (j’ai moi-même un fils au Brésil et une fille à la Réunion) mais aussi des autres pays vers l’Europe, sirène des pays pauvres…
C’est un fait de tous les temps : depuis la préhistoire les hommes ont « conquis » le monde par des déplacements au gré des pâturages pour les troupeaux. Le berceau de l’homme en Afrique a été le point de départ de la dispersion de l’homme sur toute la terre. Abraham partit avec les siens « sans savoir où il allait ». Les celtes ont déboulé de l’Inde en Europe occidentale. Attila, venu des steppes, menaça Paris. En Bretagne, au IV éme siècle, 60 % de la population s’est constitué d’un coup par une « invasion » des Angles venus du Nord. Aujourd’hui, à Digne, ceux qui sont partis sont remplacés par des albanais, libanais, marocains, turcs… Dans mon lieu d’habitation à Champtercier un village- vacances est réquisitionné depuis 3 ans pour accueillir les jeunes réfugiés adolescents en provenance d’Afghanistan, du Mali ou du Soudan. Dans son enfance, le Christ a du fuir les violences d’un despote sanguinaire et migrer en « Egypte »…
Outre le fait d’être des passants dans les contrées et les villes du monde, nous sommes aussi des passants dans le temps qui lui-même passe … De quoi nous rabattre le caquet et nous inviter à vivre le temps présent. VIVRE, là est notre essentiel…

Nous sommes tous frères

Aujourd’hui, nos visions immédiates des réalités hors-sol nous focalisent sur nous-mêmes à travers les « actualités », qui, pour être « actuelles », nous enferment pourtant dans des aveuglements et des positionnements stériles et désespérants . Covid, trumperies, reprise économique, lobbies sanitaires, racisme, violence n’ont qu’un dénominateur commun : le chacun pour soi, si nous n’y prenons pas garde. Les notions d’insécurité et de peur, la culture et l’entretien d’un esprit moutonnier (et abêtissant avec l’aide de certains merdias) sont sciemment entretenues pour le profit de quelques uns.
Comment élargir nos propres horizons aux immenses dimensions du monde et ceux des cœurs de nos frères en humanité ?  
Tout ce brouhaha économico-politico-médiatique nous empêche de voir ce qui se passe concernant les migrations actuelles. Encore hier, 67 migrants ont été secourus en Méditerranée. Avant-hier, une centaine ont été recueilli par le navire allemand Sea Watch. L’organisation précise que la plateforme d’alerte Alarmphone « avait signalé le cas mais ni les autorités italiennes ni les autorités maltaises n’avaient pris de mesures pour sauver les naufragés ».
Des rescapés au milieu de centaines d’autres qui se noient. Qui en parle ? Qui s’en soucie ? Où va le monde ? Où va l’homme ? Qui entend les cris de nos frères ?

Parce qu’il y a quelque chose à entendre !

Chapelle de Vaux avant restauration

Qu’ils soient réfugiés, migrants, demandeurs d’asile, clandestins pour des raisons politiques, économiques ou environnementales, tous fuient ou quittent, le cœur gros, une famille, des amis ou un pays qui subissent les conséquences de la gabegie et de la voracité des pays occidentaux.
Aujourd’hui ce n’est plus la faim qui pousse à partir, ce n’est plus seulement la Nature aussi belle que stérile qui les empêche de vivre, ce sont les hommes eux-mêmes qui se font la guerre entre eux et qui détruisent la planète. L’homme est devenu un loup pour l’homme. Peu lui importe tous les enfants réfugiés fuyant guerres et persécutions et qui subissent des traumatismes indélébiles. Nouveaux massacre des innocents …
Je sais la détresse de ceux qui restent et de ceux qui partent : mon fils est resté 8 ans sans-papier au Brésil. Que de soucis, de questionnements, d’appréhensions et d’inquiétudes ! Encore plus aujourd’hui avec la gestion déplorable du Covid par le gouvernement fasciste de Bolsonaro.

« Pars vers toi … »

Comme lors de ma marche vers le col de Clapouse, nous sommes invités à prendre la hauteur et à vivre l’indispensable solidarité des montagnards.
750 m de dénivelé ardus et des passages dangereux dans les à-pics des robines disent la nécessité de prendre soin les uns des autres et de nous porter dans une unique cordée où personne ne sera oublié.
L’unité solitaire avec la belle nature n’a de sens que si elle nous ouvre à celle, solidaire, de nos frères en humanité.
Et pour vivre cette ouverture, il nous faut partir. Pas bien loin ! Comme Abraham, à qui Dieu demanda, non dans une traduction compréhensible « Pars, va vers le pays que je te montrerai » mais dans une autre plus proche du texte original : « Pars, va vers toi… »

Je crois que nous n’épuiserons jamais les nouvelles découvertes que nous offre notre pays/paysage intérieur. Il est toujours temps de se mettre en route et de la poursuivre pour en dévoiler sa beauté intime et la voir en reflet chez les autres.

« La Montagne »

Pour terminer ce billet, comment ne pas écouter la chanson de Jean Ferrat ?

« …  Ils quittent  un à un le pays
Pour s’en aller gagner leur vie
Loin de la terre où ils sont nés

Avec leurs mains dessus leurs têtes
Ils avaient monté des murettes
Jusqu’au sommet de la colline

Qu’importent les jours les années
Ils avaient tous l’âme bien née
Noueuse comme un pied de vigne

Deux chèvres et puis quelques moutons
Une année bonne et l’autre non
Et sans vacances et sans sorties
Les filles veulent aller au bal
Il n’y a rien de plus normal
Que de vouloir vivre sa vie … »

Une réponse sur “« Pars, va vers toi… »”

  1. Une ballade en montagne et la solitude qu’elle offre aiderait effectivement à se retrouver un peu et à entrevoir où se situe l’essentiel (pour ceux qui l’ont un peu perdu de vue, bien-sûr..!)
    Les photos aident à se projeter et le texte, tortueux comme un sentier de montagne, montre la voie, en tout cas! 🙂

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