A propos de la controversée cène lors de la cérémonie de l’ouverture des Jeux Olympiques à Paris, les réactions continuent de-ci, de-là, comme si certains ne voulaient pas lâcher leur os à ronger. Certains chrétiens, en lien avec l’extrême-droite, ont orchestré une polémique avec beaucoup de violence (harcèlements, injures, invectives, menaces de mort,…) sur une fausse ou incomplète analyse de ce qui s’est vraiment passé pendant quelques minutes de retransmission TV pour critiquer ce passage ou l’ensemble de la cérémonie.
Croyant y voir une parodie d’un texte sacré, ils sonnent l’hallali et participent à la curée, n’entendent pas l’objet originel de la représentation qu’est le tableau du festin de Zeus et veulent à tout prix que ce soit une reproduction de la Cène de Léonard de Vinci alors qu’on se demande ce que viendrait faire Dionysos peint en bleu dans cette séquence….
Les concepteurs visaient autre chose en lien avec l’Olympe et la déesse Sequana (Seine) … Alors que ceux-ci ont démenti s’être inspiré de la Cène, se sont excusés d’avoir pu blesser certains croyants alors que ce n’était pas leur intention et ont demandé pardon (« s’ils s’excusent, c’est bien qu’ils avaient l’intention de choquer et nous donnent raison » diront les pisse-vinaigre qui refuseront cette demande, car, pour eux, seul Dieu pardonne !)… Ils affirment que ce sont de fausses-excuses, un double langage alors que c’était l’inverse : montrer l’esprit de tolérance et la communion entre les différents cultures en France.
Plus grave, je pense qu’ ils sont instrumentalisés et ne réalisent pas qu’il y a derrière une affaire politique et sociétale : ce n’est pas pour rien que les zemmouriens et autres extrêmes-droites surfent sur des idées racistes, antisémites, pour asseoir leurs idées et faire advenir un fascisme à leurs bottes en jouant sur la corde sensible de la religion. Qu’elles soient relayées par des responsables religieux prompts à dégainer et à se sentir offensés, jusqu’au Vatican, ignorant cette manipulation politique et l’instrumentalisation mise en place par cette extrême droite en dit long sur leur incapacité, toutes Églises confondues, à faire le tri entre leur petit ego bousculé dans ses habitudes et le message évangélique de Jésus fait d’accueil inconditionnel, de pardon lucide des offenses, d’amour jusqu’au bout de la Vie.
Et même si l’idée de provoquer était avérée, Vinci a imaginé le tableau de la Cène avec les codes de l’époque. À celle de Jésus – horreur de se s’y mal tenir à table ! -, on mangeait allongé et avec les doigts !
De plus, le descriptif de la Cène elle-même, et non son tableau (comment pourrait-on blasphémer contre un tableau ?), a été écrit dans les évangiles entre 60 et 100 ans après l’évènement lui-même, en fonction des besoins catéchétiques des premières communautés chrétiennes. Ils n’ont rien d’historiques, mais reflètent une intention symbolique visant l’unité en Christ et la paix entre tous.
Que d’hommes à cette Cène représentée par Vinci autour de Jésus et si peu de femmes : était-ce la réalité ? J’en doute ! De plus certains de ces hommes avaient un pedigree peu reluisant : voleur, terroriste, sans instruction, irréligieux, impurs aux yeux des gens de l’époque qui les rejetaient et les méprisaient. Quels messages les évangélistes des premiers siècle cherchaient à faire passer sur cette surreprésentation masculine quant à l’autorité, le pouvoir et la hiérarchie et la place des femmes ? Comme aujourd’hui pour les LGBT, les migrants, les réfugiés et autres indésirables dérangeurs de la bien-pensance, tous ces exclus de la société si bien mis en avant lors de cette scène d’ouverture des jeux qui se veut tolérante…
Je peux comprendre tous les offensés et les personnes se sentant ridiculisées et choquées. J’ai envie de dire (excusez mon franc-parler) : « mais c’est votre affaire ! Voyons plutôt comment mettre du lien dans nos sociétés au nom de notre foi, comment pouvons aujourd’hui être levain de bonheur dans la pâte sociétale sans se sentir dérangés dans nos convictions (le « dérangement » fait partie de notre foi !) Comment pouvons-nous être terre de liberté et de respect des différences, même si celles-ci peuvent nous gêner ? Comment accueillir les gens différents qui ne pensent pas ou ne vivent pasn? Comment, dans les églises et les communautés réfléchir pour mettre du baume et refuser de se laisser embarquer par les autorités ecclésiales en notre nom, dans des rejets péremptoires et des jugements qui excluent et proposer des réflexions pour entrer en dialogue ? Et à défaut de pardonner, passez l’éponge avec bonté !… »
Je crois que, comme la majorité de la population (les cris de d’orfraie de certains, même bien forts, ne font pas le grand nombre), qui a toléré cette anecdote, que « Dieu » a d’autres chats à fouetter. Je pense que les chrétiens, au lieu de rentrer dans des plaintes accusatrices non fondées, des désolations et des polémiques qui tombent comme de l’eau sur les plumes d’un canard, feraient mieux de travailler à l’accueil des exclus dans la société. Ne serait-ce que pour que ces derniers se sentent vraiment accueillis et ne soient plus obligées de provoquer pour se faire entendre et accepter, mais surtout pour rendre une société vivable, accueillante où l’on puisse dire de part et d’autre son désaccord, dénoncer de part et d’autres les violences et les agressions. Et qu’ils soient instruments de paix et d’unité.
Là sont les enjeux : à l’heure où les fascismes en Europe créent la division, le racisme, l’antisémitisme, le rejet et favorise le suprématisme blanc, à l’heure où leur politique antirépublicain vient puiser chez les chrétiens et certains de leurs responsables ecclésiaux, de l’eau tiède pour affermir des « valeurs chrétiennes » au service de leur idée politique revancharde, il est temps de revenir au message évangélique. Comme l’affirmait l’évêque d’Arras, Olivier Leborgne, sur France Inter : « Aimez-vous les uns les autres, ce n’est pas romantique, c’est politique. » Pour être crédibles, sortons de nos églises pieusement douillettes et de nos certitudes dogmatiques bien pensantes, sachons faire la part des choses et de leur importance, et rejoignons les combats du monde et des sociétés, au nom, justement de notre foi en un Dieu qui pardonne et nous invite surtout à faire de même.
Faisons nôtre l’appel d’Erwan Cloarec, pasteur et président de l’Église évangélique (CNEF) : «…Voyons dans la situation qui survient une réelle opportunité de témoigner de notre foi alors que la personne du Christ vient d’être placée au centre de ces jeux. Entendons les cris du cœur et le besoin de réconciliation de nos contemporains, leur quête d’identité et d’appartenance. Ils crient dans une société pluraliste ; montrons-leur comment crier plus haut vers celui qui les invite tous à sa table et offre la vraie réconciliation, l’identité et l’appartenance véritables.… » Belle invitation pour répondre à ce qui serait perçu comme des « provocations …ou des appels à la tolérance et à l’unité !
Lisons aussi la lettre à Diognète « …On les (les chrétiens) méprise et, dans ce mépris, ils trouvent leur gloire. On les calomnie, et ils y trouvent leur justification. On les insulte, et ils bénissent. On les outrage, et ils honorent…. En un mot, ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde…»
Lire aussi Merci d’une catholique à Thomas Jolly. « …Ceux qui crient au blasphème, ce sont les mêmes types d’esprits que ceux qui ont condamné Jésus comme blasphémateur car il inaugurait une voie de libération. »
lire aussi ces interrogations qui viennent de sortir sur le journal La Croix, pour « …ne pas en rester à notre seule réaction individuelle…Si l’expérience esthétique est la rencontre entre trois parties, à savoir l’œuvre, son auteur et le public, une condition de cette rencontre est la confiance dans la sincérité de l’autre, au risque de la rendre impossible. C’est la difficulté inhérente à toute relation humaine et c’est en même temps ce qui lui donne tout son sens : une relation authentique requiert un pas dans le vide, une confiance élémentaire dans la parole de l’autre… »
https://www.la-croix.com/a-vif/ceremonie-d-ouverture-lart-meme-sil-nous-choque-nous-permet-de-nous-exercer-a-la-rencontre-20240731?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&utm_id=6631979564404&utm_content=6636045901804&utm_term=6631979564204&utm_campaign=6631979564404&fbclid=IwY2xjawEpV6FleHRuA2FlbQEwAAEd-smdWNpMsg-1g25fld59cdrtaeGNUlaFwYUKWuzj1_TYI5N2ZWXL_cTM_aem_RshufZZeSaM6z-LKjEs7Tg#Echobox=1722514723