Le culte marial catholique

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Michel Leconte, sur le site Protestants dans la ville de Gilles Castelnau nous livre une réflexion sur l’assomption de Marie et « l’histoire de ce dogme » définie comme « vérité à laquelle il faut croire »

A l’automne 1946, le père Congar rédige un document interne à la faculté de théologie des dominicains du Saulchoir où il est professeur pour protester sur une possible dogmatisation de l’assomption de Marie. Ce dogme sera néanmoins défini comme dogme (c’est-à-dire « vérité de foi ») par la constitution apostolique « Munificentissimus Deus » [1] par Pie XII en 1950 utilisant pour cela son infaillibilité pontificale telle que définie au concile Vatican I.

Yves Congar estime que rien ne l’impose, que cette dogmatisation sera un obstacle à la réunion des chrétiens, que cela va « accentuer encore l’emprise mécanique du système juridique de ce grand corps amorphe sous les outrages d’une hiérarchie centralisée » ; « après l’assomption, ce sera la médiation, puis la corédemption, puis encore autre chose » ; ce dogme n’a pas d’encrage dans les sources, c’est « une déduction de déductions, confortée par un sentiment de piété ». Les plus jeunes parmi ses collègues dominicains lui donnent leur accord (Henri Féret, le bibliste André-Marie Dubarle, l’historien André Duval, le dogmaticien Pierre-André Liégé et le patrologue Thomas Camelot), mais cinq professeurs expriment une franche hostilité dont le régent Thomas Philippe (!).

La conviction du père Congar est que la mariologie constitue la pierre de touche entre deux types de théologie, celle qui est la sienne et celle à laquelle il s’oppose. Il écrit : « Au moment de l’affaire Chenu et depuis, j’ai pensé que la question de la mariologie faisait le clivage entre deux types d’hommes. En fait, les mariolâtres d’un côté, et les chrétiens de l’autre. ». On ne saurait être plus clair !

Pour le père Congar, la « mariolâtrie » n’est rien moins que la « substitution au christianisme, d’un mariano-christianisme » qui n’est plus tout à fait la même foi chrétienne.

Le père Congar n’explicite pas sa position. On peut toutefois supposer que la position du père Congar est dictée par le fait que l’assomption de Marie est absente des Écritures comme du culte chrétien au premier siècle. Elle apparaît dans la piété au troisième siècle en Orient et au cinquième siècle en occident, suite à la définition du concile d’Éphèse en 430, définissant la vierge Marie comme Theotokos (mère de Dieu).

Origine et développement du culte marial

Pour de nombreux spécialistes de l’Antiquité, Marie « mère de Dieu » aurait hérité purement et simplement des symboles et des fonctions de la déesse Cybèle, Mater magna, « Mère des dieux » : « Marie viendrait remplir une case laissée vide par la défaite et l’exil des divinités féminines, Isis et Cybèle surtout ». L’helléniste et historien des religions Philippe Borgeaud [2] met l’accent sur le contexte religieux commun dans lequel baignent les deux figures de Cybèle et de Marie, et qui explique leurs ressemblances. Ainsi, « le discours sur la chasteté [qui occupe une place centrale dans le culte marial comme dans le culte de Cybèle] relève de préoccupations qui sont partagées, au IIe siècle de notre ère, par des milieux cultivés dans l’ensemble des communautés méditerranéennes, chrétiennes ou non chrétiennes ».

De fait, « le christianisme victorieux finit par asseoir Marie, la Mère de Dieu, sur un trône qui ressemble étonnamment à celui de la Mère des dieux, tout en recherchant, derrière l’image hiératique de la souveraine céleste, les émotions d’une mère aimante et souffrante. » Le danger d’une divinisation de Marie, et d’une confusion entre Marie « mère de Dieu » et Cybèle mère des dieux sous-tend la polémique au concile d’Éphèse entre Nestorius, patriarche de Constantinople, qui aurait voulu que l’on appelât Marie « Christotokos », « mère du Christ », plutôt que « Theotokos », « mère de Dieu », et Cyrille d’Alexandrie, partisan de cette dernière appellation.

En orient, la mère de Dieu se voit confier les attributs de l’impératrice. Elle devient la protectrice de l’Empire byzantin, l’impératrice représentant Dieu sur terre. De même, au IXe siècle, la Vierge devient en Occident « reine des cieux », placée au sommet de la hiérarchie des anges dans un système de représentation où le ciel et la terre sont en correspondance.

C’est au IXe siècle que s’impose, surtout en Occident, la figure de Marie médiatrice. Au Ve siècle, le culte marial se développe dans le monde latin, surtout chez les religieux et les membres du clergé. ­Sa maternité spirituelle va engendrer de nombreux ordres, mais aussi patronner confréries, cités, universités : les cisterciens deviennent « fils de Marie ». Saint Bernard sera même appelé le « nourrisson de Notre-Dame » !
Quant à la comparaison entre Marie et l’Église ­(toutes deux sont épouses et mères), ­apparue au IVe siècle, elle sera aussi développée au XIIIe siècle. ­

Contre les excès du culte marial, les protestants inviteront à retrouver la « vraie Vierge des Évangiles ». Ainsi, dans son Traité des reliques, Jean Calvin s’en prend vertement à la prolifération des bouteilles de lait de Marie que les monastères proposent à la vénération des fidèles, tandis que Luther met en exergue Marie comme servante.
Puis, après le concile de Trente (1545-1563), commence une nouvelle période d’inflation des apparitions. Et au début du XVIIe siècle, la papauté lancera le culte de Lorette qui marquera peu à peu les limites géographiques entre catholiques et protestants.

La mère imaginaire

Le culte marial répond à des besoins humains et, sans doute aux désirs infantiles de l’inconscient. Le désir d’avoir une mère parfaite toute à soi puisqu’étant vierge, il n’y a pas de tiers qui vienne perturber et interdire cette relation exclusive et quasi fusionnelle. La littérature cléricale sur la maternité de Marie montre à l’envi que les auteurs, en cette occurrence, s’identifient au Fils ; à la virginité de la mère correspond alors la virginité du Fils et à la virginité des fils.
Comme le dénonce Jacques Pohier [3], il se noue là « un système totalitaire et exclusif de rapport mère-fils dans lequel, au fantasme de la virginité de la mère, correspond l’impossibilité pour le fils de se donner un autre objet sexuel, ce qui équivaut à la virginité du fils. La mère vierge est celle qui n’appartient qu’au fils ; le fils vierge est celui qui reste fixé à la mère… »

 Ce fantasme vient renforcer la discipline du célibat obligatoire pour les prêtres catholiques, car « à mère vierge, fils vierge »… Jean Sulivan disait qu’on ne peut rien comprendre au catholicisme si l’on ne sait pas que le jour de son ordination sacerdotale, le pape (il s’agit de Pie XII) fit tailler son aube dans la robe de mariage de sa mère ! Le père Congar, soucieux d’œcuménisme protestant n’a jamais cédé à l’inflation du culte marial.

Notes : [1] « Par l’autorité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, des bienheureux apôtres Pierre et Paul, et par Notre propre autorité, Nous prononçons, déclarons, et définissons comme un dogme divinement révélé que l’Immaculée Mère de Dieu, la Vierge Marie, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, fut élevée corps et âme à la gloire céleste » [2] Philippe Borgeaux, La mère des dieux, Paris, Seuil, 1996. [3] Jacques Pohier, la paternité de Dieu, in Au nom du père, Paris, Le Cerf, 1972, p. 115.

Lire aussi mon article et ses commentaires sur ma propre approche de ce dogme

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