Il y a quelques jours, en faisant découvrir à des amis le village de Courbons et sa magnifique vue sur la vallée de la Bléone et le Cousson nous sommes « tombés » sur l’inauguration de fin de travaux de l’église. Curieux, j’ai écouté les traditionnels discours des uns et des autres… mais je n’ai pas entendu celui que j’attendais : celui du curé doyen de Digne qui a pieusement fait de la figuration.
Etrange, dans le pays de la laïcité, de voir la mainmise du politique sur ces bâtiments qui deviennent essentiellement et de plus en plus culturels et patrimoniaux. et C’est bien ! Les journaux du lendemain relatent la présence des acteurs économiques et politiques locaux mais ne nomment pas celle du curé.
Exit le cultuel et la dimension spirituelle de ce lieu. En cette période de Covid où tout le monde s’affiche masqué à cette cérémonie en extérieur, le culturel (qui ne manque pas d’r) a pris le pas sur le cultuel qui lui agonise par manque d’air (de Souffle ?) dans sa bien-pensance étouffante et ses rites d’un autre âge.
La chorale, devant l’église en pleine montagne, a vaillamment chanté « La mer » (si, si !) « Que c’est beau la vie », « Aux Champs-Elysées » et autres fadaises sans chercher à personnaliser l’événement… Pour l’occasion, je m’attendais un peu à un chant religieux traditionnel occitan dans ce pays si fier de sa langue… mais non, rien.
Mort d’un certain sacré ? ce serait bien !
Peut-être simplement que les pouvoirs publics prennent acte de la déjà démission des « autorités » religieuses locales qui n’assurent plus leur mission et leur culte qu’au compte-goutte et de temps en temps, souvent pour « étoffer » une rencontre folklorique ou traditionnelle plus porteuse de sens et d’histoire que les insipides et ennuyeuses cérémonies religieuses …Quand l’église est ouverte bien sûr !
Le vide a toujours demandé à être rempli. …et à défaut que les églises proposent du Sens, la Société, vaille que vaille, propose un genre de lien social sensé fédérer un vivre-ensemble sans consistance ni profondeur.
C’est la nouvelle « culture chrétienne » si chère aux intégristes de tous poils, en quête d’identité sécurisante, laïcs comme religieux, qui n’ont pas encore compris qu’elle n’existe pas. Car le propre de la foi chrétienne c’est de transcender toutes les cultures pour être tout à tous.
« Tout le monde il est content ! » Sauf certains religieux qui désespèrent de la perte de la Morale et de la Religion mais ne profitent pas des aubaines qui leurs sont données comme ici pour ouvrir un auditoire à une Transcendance à travers la beauté d’un lieu, d’un environnement, d’un engagement qui sait prendre soin d’une histoire, d’une œuvre architecturale ou d’un riche passé…
Le « sacré » disparait pour faire place au « profane ». Evolution insidieuse tant cette manifestation publique semble « naturelle »: dans un monde ou fondamentalisme, intégrisme, communautarisme religieux font la Une de l’actualité, surgit un autre « isme » tout aussi religieux, le laïcisme. Oh ! il n’est pas aussi violent ou virulent que le premier mais s’impose tout doucement dans les esprits. Il entretient ainsi les fausses peurs et les besoins de références sécuritaires.
En soi, je me réjouis de cette désacralisation. Le sacré créait deux mondes séparés : celui de Dieu, celui des hommes. Rencontre impossible ainsi : chacun reste dans son univers … et à sa place : les hommes cantonnent la divinité dans un lieu inaccessible où Dieu ne viendra pas les déranger. Enfin, un certain dieu, car celui auquel je crois a tenté de les rejoindre par Jésus Christ…
mais Dieu n’est-il pas dans la chair des hommes ? Ne le trouve-t-on pas qu’en eux ? N’est-il pas à voir dans le profane du quotidien humain ?
La laïcité bien comprise peut nous aider à grandir sur ce chemin de rencontre avec la Transcendance.
Embarquer toute l’humanité vers son unité
Au XII ème siècle François d’Assise était invité à rebâtir l’église. Il avait compris le bâtiment de pierre avant de découvrir que c’était l’Eglise des hommes envahie de turpitudes, de violences qu’il fallait reconstruire.
Aujourd’hui les pouvoirs publics et les associations de sauvegarde reconstruisent ou retapent les églises en dur. Réjouissons-nous ! Ça laisse loisir pour les Eglises chrétiennes de prendre soin de L’Eglise humaine, cette communauté au-delà des religions, des cultures et des appartenances, pour restaurer une humanité déchirée. Ne serait-ce pas l’heure et leurs rôles ?
La chrétienté n’existe plus. Le christianisme s’effondre. Jean Marie Martin nous invite à entrer dans la « Christité » . Derrière ce mot bizarre, il invite les hommes à une relation de foi personnelle avec le Dieu de Jésus-Christ qui nous sort des églises qui enferment et nous fait entrer dans le monde et le combat des hommes. Tous les hommes sans distinction :
» Il y a une communion de ceux qui reçoivent le Christ qui ne se tient pas dans les limites de l’Église au sens courant du terme… On verra sans doute un jour des choses étonnantes : tel ou tel qui, dans l’histoire, n’a pas connu le Christ ou même s’est opposé à la présentation qu’on lui en faisait, celui-là, pourtant, a entendu le Christ, mais pas le discours qu’on lui proposait. En revanche, il y a peut-être, malheureusement, un bon nombre de gens qui ont professé le Christ et qui n’ont pas de rapport vrai et vivant avec lui ».
Ce n’est pas faire de la récupération mais faire entrer dans l’espérance signifiante dès maintenant, de l’unité de l’humanité enfin réconciliée.
Apprendre à se taire
En fin de compte, la discrétion de l’Eglise locale dans cette manifestation est peut-être une bonne chose. L’ami François Cassingena Trévédy ne disait-il pas qu’en ces temps troublés « les curés devraient se taire pendant au moins 50 ans » pour donner une chance à l’Evangile de se dire de manière jamais encore entendu dans sa nouveauté et son étrangeté.
Mieux vaut se taire que de raconter des propos in-croyables, inaudibles et irrecevables aujourd’hui. Ce n’est plus dans les églises que les chrétiens sont invités à dire leur foi mais sur les routes du monde et de la vie. Dans un dire qui se reçoit d’un silence comme nous y invite François Cassingéna dans sa dernière lettre de la montagne : « … Car il faut fuir le bavardage inutile et laisser aux mots, aux mots aussi, le temps de tomber à leur heure comme des fruits mûrs. Des mots qui procèdent du silence et qui soient à même d’y conduire… »
Mais peut-être que je suis, moi aussi, trop bavard ?