Noël, pour « laver notre maladie d’inattention »

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William Bouguereau La Petite Mendiante_(1880)

En visite chez ma fille à Annecy, la ville offre son marché de Noël , au milieu de la cohue et des ritournelles noëliques insipides, sirupeuses et sans âme. Une jeune femme fait la manche, enfoncée dans un coin, assise à même le dallage de granit, sans même « un peu de paille » pour se poser et protéger des morsures du froid. De son « plein gré » ou posée là par des maquereaux d’un des pays de l’Est ? Sa jeunesse me surprend : qu’y a-t-il de cassé en elle pour ne plus avoir la force ou le désir de s’en sortir ? Car c’est elle, je crois, que j’avais déjà rencontrée l’été dernier dans ces mêmes lieux. Est-ce sa fragilité apparente qui interpelle ma propre fragilité ?

Je reviens vers elle et tente quelques mots : ce qui me fait mal au cœur c’est le regard baissé, comme voulant fuir mon propre regard. Honte ? Peur ? Et puis ce geste me montrant son gobelet où je dois poser mon obole, car je la lui remettais dans la main. Éviter le contact physique chaleureux : par crainte de quoi ? De la Covid ou de se laisser piéger une nouvelle fois ? Et tout autour, lumières dans la rue et dans les cœurs, joie sur les visages, dans un entre-soi amical et familial qui ne « voit » plus les détresses et n’entend plus les cris, ici silencieux, d’une jeune femme exclue de la simple vie de la société. Elle semble ne pas vouloir importuner. Être là, effacée, pour quémander quelques miettes du festin.

De tous les temps, les petits, les pauvres sont rejetés. Ils dérangent. On préfère les voir hors de notre regard, discrets. On aime les étoiles scintillantes des guirlandes, mais comment déposer une étoile d’espérance dans le cœur des pauvres ou des exclus ? La bonne volonté ne suffit pas. Il faut beaucoup de respect, d’attention, de tendresse, du temps aussi pour s’apprivoiser, pour que les yeux osent se lever et que les mains puissent répondre à la main tendue.

L’ambiance prégnante de la société de consommation en ces périodes de fêtes me rend triste. Tous les ans c’est la même sensation. Je n’aime pas cette fête quand elle dégénère en gabegie et en superficialité : elle passe à côté d’un Essentiel et détourne le sens de la fraternité.

Il est encore des lieux pour sauver la joie profonde et sortir de l’indifférence : en famille, avec les voisins, avec les amis marcheurs sur les sentes de la simplicité et du partage, avec les frères croyants en l’homme, autour d’un être-ensemble de quelques jours. Avec eux, je retrouve l’ouverture de l’âme pour l’humanité bafouée. Et il y a la méditation – contemplation devant l’enfant de la crèche. Il me propose, dans le silence, son silence, d’accueillir la Vie, la vraie.Il me rappelle que Noël c’est l’irruption à chaque instant du Divin en l’homme, entre tous les hommes. Question de regard.

Dans nos villes, des migrants, des familles entières, des milliers d’enfants sont à la rue et dans le froid aujourd’hui. La naissance du Christ, en ce Noël 2022, se dit en celles et ceux qui veulent naître à une vie digne, pleinement humaine. Voila la réalité de Noël aujourd’hui. Ce n’est pas seulement la commémoration d’un événement d’il y a 2000 ans. C’est sa venue en en humanité en des milliers de personnes rejetées mainrenant.

Joyeux Noël quand même ! Cette fête nous parle d’un enfant qui pose les fondations d’un Monde nouveau et nous invite à construire un Royaume chaleureux de Paix et de Fraternité. Comprendre déjà cela, c’est se mettre en route. C’est peut-être alors que nous découvrirons une part du mystère de Noël, aujourd’hui défiguré : Christian Bobin disait qu’à Noël il y a « tout le paradis, toute la joie qui excède et lave notre maladie d’inattention »

« Dieu » est avec nous, « Dieu » est en chacun des hommes et des femmes de ce temps. A nous de Le rendre viable en chacun, car il peut mourir. Le rendre visible, car il respecte notre liberté. Il en va de notre dignité et de celle de nos frères en humanité de répondre au Grand Quémandeur-mendiant qu’il est.

Belle incarnation de lui en vous !

3 réponses sur “Noël, pour « laver notre maladie d’inattention »”

    1. merci de ce commentaire Maurice. Joyeux Noël à vous aussi et aux vôtres.
      En réponse à votre commentaire : Qu’est-ce qu’être croyant ? Je ne sais plus non plus ! et, de plus en plus, se dit en moi cette foi en l’homme sur son chemin de pleine humanité.
      Maurice Zundel disait (je mets ces mots dans mon exergue de mon livre qui vient de paraître « Jours sombres en Église » – voir mon post du 9 décembre sur mon site http://kestenig.fr/) :
      « Je crois en Dieu » peut n’engager à rien. C’est en prétendant défendre l’honneur de Dieu que les juges du Christ l’ont condamné au supplice de la croix. Mais ‘je crois en l’homme’ engage tout.
      ‘Je crois en l’homme’ si nous allons au bout de cette affirmation, si, du moins nous essayons de la vivre, il n’y aura besoin de rien ajouter. Car si je crois vraiment en l’homme, je crois en Dieu va de soi puisque la grandeur humaine est toujours finalement une transparence à Dieu ».

  1. Merci pour le partage de tes réflexions qui bousculent.
    Je suis en plein lecture de ton livre le je-nous écorché. Quel chemin de relecture de ta vie et de partage de toutes tes découvertes et rencontres.
    Encore joyeux Noël à toi et tous les tiens

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