Voici un texte qui date un peu…si on peut dire… Mais tout va si vite !
Il est paru en 2016. C’est une opinion de Jacques Meurice, ancien prêtre-ouvrier et écrivain. Auteur de « Adieu l’Eglise. Chemin d’un prêtre-ouvrier », Paris, L’Harmattan.
A l’heure où certains s’arque-boutent sur les dogmes et d’autres s’interrogent sur leurs conséquences dans les orientations ecclésiales et la crédibilité de l’Institution ce texte qui suit est le bienvenu pour se questionner sur la pertinence de certaines de ces « vérités de foi ». Pour rappel , le dogme est une doctrine dans laquelle l’Église propose de façon définitive une vérité révélée .
« L’Eglise catholique est malade, gravement. C’est un cancer qui la ronge. Ce cancer c’est le dogme. Le dogme, pour celui qui le professe, c’est une certitude. La certitude de posséder la vérité, ou au moins un morceau de celle-ci. Un dogme cela ne se discute pas. Avant sa proclamation, peut-être, après plus jamais. Cela s’accepte ou se rejette. Quand un groupe d’êtres humains se lance dans la pratique du dogme, il se prépare à se séparer de beaucoup d’autres êtres humains qui, pour diverses raisons, ne s’y soumettent pas. Le dogme entraîne l’exclusion. Le dogme se multiplie aussi. Un dogme en entraîne d’autres presque à l’infini, comme des ganglions. Le grand tort de l’Eglise catholique, c’est de ne pas s’être méfiée du dogme.
Trois siècles sans dogme
L’Eglise du Christ et des apôtres a vécu presque trois siècles sans dogme. Le Nouveau Testament, l’ Évangile, suffisait semble-t-il. Même si les premières déclarations dogmatiques ont été faites au cours du premier concile œcuménique à Nicée (Turquie) en 325, elles n’étaient cependant pas l’œuvre des évêques mais d’un empereur, Constantin, qui voulait imposer sa volonté. Pour ce faire, il avait convoqué 250 évêques et présidait leur assemblée. Le Pape, Sylvestre Ier, fils d’un prêtre, n’y était d’ailleurs pas. Il n’avait pas voulu quitter Rome. Et pourtant, le Symbole de Nicée fut à l’origine du Credo proclamé dans les églises catholiques jusqu’à présent. C’était en fait l’œuvre de Constantin, qui, comme empereur, assistait à la débâcle des religions grecque et romaine et voulait imposer une nouvelle religion monothéiste mieux adaptée et plus favorable à l’unité de l’empire. Pour obtenir l’adhésion des évêques, il leur promit un rang et des avantages semblables à ceux des préfets et des procureurs, avec l’intention, à l’avenir, de les nommer lui-même. L’empereur n’était même pas chrétien, il fut baptisé plus tard, à la hâte, sur son lit de mort. Dès le départ, les dogmes furent une question d’autorité et de pouvoir politique. On se mit aussitôt à condamner les opposants et à excommunier Arius, prêtre très dévoué d’Alexandrie, qui avait le tort de nier la divinité de Jésus et ne reconnaissait pas la Trinité.
Fossé entre les catholiques et les autres .
Ce fut le cas de bien d’autres dogmes par la suite, habituellement prononcés pour une raison de prestige, de pouvoir, et qui, sans cesse divisèrent les chrétiens. Les derniers promulgués sont d’ailleurs un sommet en la matière : l’infaillibilité pontificale, l’immaculée conception et l’assomption de Marie n’ont fait qu’agrandir le fossé qui sépare les catholiques des protestants, anglicans, orthodoxes, etc. Les théologiens diront que l’Eglise est toujours à réformer, semper reformanda, ils pourraient tout aussi bien dire qu’elle n’a jamais été vraiment réformée, numquam reformata, sinon par ceux qui en sont sortis !
Le pape François voudrait ardemment que l’Eglise change, qu’elle s’ouvre au monde, qu’elle retrouve sa vocation qui est d’exister pour les pauvres et avec les pauvres. Mais il souhaiterait aussi qu’on ne s’attaque pas à la doctrine, aux rites, aux sacrements… sans doute parce qu’il ne peut pas compter sur une majorité suffisante de progressistes, de réformistes, comme l’a hélas montré le récent synode de Rome. Jorge Bergoglio a en face de lui une forte opposition qui brandit l’arme du dogme et veut à tout prix conserver une Eglise traditionnelle avec tous les usages et tous les privilèges que cela comporte.
Dietrich Bonhoeffer, le plus grand théologien protestant du XXe siècle, exécuté par les nazis en avril 1945 au camp de concentration de Flossenbürg, n’avait-il pas raison de penser que le christianisme n’était pas une religion ? Qu’il ne pouvait être qu’une philosophie au sens fort, une sagesse de vie, un message prophétique pour l’avenir des hommes et des femmes ? Cela ne pouvait pas être envisagé par les pères de l’Eglise. Car les véritables pères de l’Eglise ne sont pas ceux qu’on croit, mais bien plutôt Constantin, Clovis et Charlemagne, les 3 grands « C » comme dans Catholique. Et bien sûr, on a fait de l’évangile de Jésus une nouvelle religion comme les autres, avec un clergé, une hiérarchie, des rites, du sacré, des sacrements, des temples, des offrandes…
Redire les choses autrement
Une réforme profonde est-elle envisageable ? Il faudrait pour retourner aux origines, démonter la doctrine, détricoter tout le tissu ecclésiastique, rechercher la vérité pour laquelle Jésus disait à Pilate qu’il était né… Il faudrait, mais c’est probablement impossible, remettre en question toutes les formulations dogmatiques, car comme le disait et l’écrivait Albert Jacquard, il n’y a plus aucun dogme qui tienne vraiment la route, devant la science, l’évolution, les progrès de l’histoire et de l’archéologie, les aspirations des hommes et des femmes à la liberté, l’égalité par la justice, la fraternité à l’échelle de la planète…
Alors ? Sans chimiothérapie, le dogme va continuer à étouffer l’Eglise. Le dogme ne laisse aucune place à la discussion, il s’oppose au relativisme. Or, toute la vie des hommes est relative, elle tient compte des changements de société, elle s’adapte aux nouvelles politiques, elle évolue avec la pensée, les idées, et Jésus l’avait bien compris, déjà ! Alors ? Il faut chercher, apprendre à recommencer, démonter et reconstruire, douter bien sûr, redire les choses autrement, accepter de reconnaître l’erreur et l’impasse, se projeter dans l’avenir, inventer, oser… Ce n’est pas gagné. »