Le prêtre, un autre Christ vraiment ?

partager

Lors d’une semaine de jeûne récente à laquelle j’ai participé à Sénanque, l’animation spirituelle était assurée par un prêtre très respectueux des appartenances ou non-appartenance religieuses de chacun. La démarche de foi ou de recherche spirituelle dépasse le côté institutionnel  ou religieux;  ce prêtre a su, avec tact et compétence, accompagner les  » 28 pèlerins » que nous étions sur un chemin singulier pour chacun.
Mon propos toutefois ne se situe pas là.  
Lors d’un partage, j’ai tiqué quand il nous a suggéré que l’un des lieu de présence du Christ se situe dans la personne du prêtre. « Pas ajusté et pas tout à fait vrai » me suis-je tout de suite dit ; sans pour autant pouvoir argumenter plus loin en moi; le malaise était là et d’autant plus présent que le débat sur le cléricalisme aujourd’hui dans l’Eglise catholique bat son plein. Et je pressentais que cette affirmation était un aspect (assez subtil, il faut le dire), de cette approche cléricale, dans toute sa splendeur.
Ayant pris le temps de me poser, voici quelques unes de mes réflexions concernant ma perception sur cet état sacerdotal . Elle n’engage que moi, qui suis un peu en marge ou sur les parvis…

Quelles est donc la spécificité « officielle »  du sacerdoce ? Ne réside-t-elle pas, dans l’Eglise catholique aujourd’hui, dans cette « capacité » à célébrer l’Eucharistie et exercer la sacrement de réconciliation ?  Comme un monopole exclusif qui confère au prêtre une « autorité » qui le met à part des autres fidèles. Il deviendrait ainsi un autre Christ, ou son représentant ?
Quel pouvoir, quel prestige et quelle sacralisation de la fonction que l’Eglise lui donne !
Il devient ainsi celui qui transcende, se met au dessus de la mêlée du « vulgum pecus », et des contingences de genre et /ou sexuelles ou bassement matérielles pour assurer le lien avec la Transcendance.
Pourtant, je croyais que tout baptisé revêtait le Christ lors de son baptême. Indistinctement qu’il soit prêtre ou laïc. Que chaque baptisé, entrant à ce titre dans la communion ecclésiale participait à cette vocation d’être partie prenante d’un « peuple de prêtres, de prophètes et de rois ».
Pour quoi alors cette mise à part ? Le prêtre aujourd’hui aurait-il une fonction ministérielle particulière ?

L’eucharistie, un lieu de séparation ?

Dans l’Eucharistie, que signifie donc ce « pouvoir » de faire seul advenir le Christ dans l’eucharistie ? Dans cette approche, les « fidèles » deviennent des spectateurs passifs d’une grande dramaturgie ou le prêtre au nom d’un pouvoir sacré solitaire qui lui est attribué à l’exclusion de tout autre participant (surtout pas de femmes dans le chœur pendant la célébration: elles pourraient souiller « l’opération » sacrée qui se déroule )…. Ils restent des individus cantonnés dans une tentative de relation personnelle avec ce qui se passe, sans lien aucun (ou si peu) avec le frère qu’il côtoie. La communauté de croyants est souvent un rassemblement de personnes isolées. Mais des individus ne font pas une communauté.
La dimension communautaire est souvent exclue du rassemblement. Or, n’est-ce pas le repas pris ensemble , dans et avec une communauté de croyants qui entoure le célébrant qui fait advenir le Christ qui a dit « quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux« ? L’aspect communionnel,  fraternel , festif, mémoriel (dans sa dimension de repas de la dernière Cène, et non seulement sacrificiel) est de plus en plus ignoré.
Sacralisation qui sépare le prêtre du commun des hommes.


Le caractère exclusif et masculin de ces sacrificateurs (ceux qui font le sacré) tout- puissants me déroute. Je croyais que le Christ était venu abolir définitivement cette dualité sacré-profane, présente en toute religion qui met Dieu à part, extérieur à nous-mêmes, dans un ciel lointain.
Ne voulait-il pas que tout soit unifié et devienne saint (et sain !) .. l
Et voilà, tout d’un coup, par l’ opération  d’un célébrant , par « magie » (ou, disons du Saint Esprit, ou miracle ou pouvoir sacerdotal, ça passera mieux pour certains) , les ministres, le rendent présent.
Ça donne le vertige ! On comprend que ce « rôle » ne peux être dévolu à n’importe qui et que cette autorité ne peut être galvaudée… !
Pensez ! elle viendrait de Dieu lui-même en le réservant aux seuls hommes consacrés !
Christ se serait-il incarné pour rien pour qu’on en revienne ainsi aux sacrificateurs de l’Ancien Testament ? Dualité qui s’installe quand le Christ est venu pour tout unifier.
Il y a des jours où je me sens bien protestant…!

La réconciliation, lieu de pouvoir sur l’intime ?

De même pour le sacrement de réconciliation appelé autrefois « confession ». Pourquoi le pouvoir (encore ce mot !) serait-il réservé aux seuls prêtres ? Je crois que c’est saint Augustin qui affirmait que c’est l’Eglise toute entière qui « lie » et « délie ».
A travers chacun de ses membres il est donné, pour moi, cette capacité de réconciliation avec lui-même, ses frères et son Dieu face à des problématiques culpabilisantes qui relèvent beaucoup plus de souffrances, de blessures, de besoins maladifs que de « péchés » volontaires.
Là aussi, Il y a des jours où je me sens bien protestant…!

Au-delà des gestes « fonctionnels » ou liturgiques qui mettraient à part le prêtre, au dessus du peuple de fidèles, ne faudrait-il pas le définir d’abord comme un chrétien qui exerce certains services pour et sein d’une communauté de croyants ?

Prêtre pour vivre quoi ?

J’ai beaucoup aimé par exemple pendant cette semaine de jeûne le service de la Parole qu’a exercé l’animateur. Bien que ce « rôle » ne soit pas réservé au prêtre (que d’hommes et de femmes laïcs, théologiens ou exégètes non clercs, le font si bien !) , il est, je crois, l’homme de la Parole qui a été formé pendant des années à la lecture, à la méditation et à la transmission de cette Bonne Nouvelle.
Pour l’avoir longuement habitée et mastiquée, il saura donner le goût et la saveur de ce Pain. Surtout si cette Parole est lue et partagée avec d’autres pour porter fruit.
Je lui vois aussi un rôle de « présidence » tant dans les célébrations et les cultes divers (dont la prière communautaire), que dans l’animation spirituelle ou matérielle de la communauté. Présider non pour décider ou organiser (à la place de) ou faire (que de fuites là, dans un activisme gratifiant !) mais pour déléguer et s’entourer de frères auprès de qui son « autorité » fera grandir et surtout rassembler.
Ainsi articulé autour de ces « fonctions » de rassembleur,  il sera un témoignage de vérité, par sa pleine humanité et son sens du service, son insertion sans mise à part dans la pâte humaine, et  le prêtre qu’il est pourra être source d’un rayonnement personnel et, avec d’autres, communautaire.

Messe sur les ronds points des gilets jaunes

Je suis conscient qu’une telle approche va devoir faire descendre de son piédestal celui qui se considère comme  « mis à part ». (Pourquoi pas ? Ils font bien « descendre » Dieu en personne sur l’autel… Je crois qu’ils le peuvent pour eux-mêmes ). Mais peut-être pas à la manière dont il le pense.
Ce « pouvoir » qu’ils pensaient tenir de Dieu peuvent les mettre en insécurité et en vulnérabilité. Dans ces difficultés, n’y a-t-il pas comme une forme d’idolâtrie sur cette position sacerdotale et un pouvoir qui les mettraient à part qu’il faudrait lâcher ?
Épreuve déroutante d’une remise en cause essentielle. Cette « institution sacerdotale » qui date du IV ème siècle ne relève-t-elle pas des conceptions cultuelles et sacralisées des anciens sacerdoces juifs et païens de l’Ancien Testament  et des hommes de pouvoirs de l’Eglise dans certains périodes de sa vie ?

Le Christ, L’unique Prêtre

Le Christ est venu nous apporter une Nouvelle Alliance à vivre avec un Dieu dont il nous donne aussi une approche nouvelle (un Père et non un Dieu tout puissant, vengeur ou culpabilisant ou …).
Et dans cette nouvelle Alliance, seul le Christ est le Grand et Unique Prêtre. Par sa mort, sa croix et sa Résurrection,  il accomplit de manière définitive tous les sacerdoces anciens et à venir. C’est fait ! Sinon cette « prérogative » de faire venir le Christ sur l’autel revêt un caractère sacrificiel pour le moins gênant. C’est vrai que toute la théologie de la Rédemption, du péché, de la culpabilité serait à revoir … Un jour peut-être ?

Par sa vie, Jésus-Christ a épousé concrètement  le destin de l’humanité et s’en est fait proche, de chacun en particulier, individualisant ainsi une relation personnelle de tout homme avec son Père.
Plus besoin de médiateur ou de sacrificateur pour apaiser le courroux d’un Dieu colérique ou vengeur. Encore moins quand l’officiant  déresponsabilise et rabaisse les hommes à de simples brebis égarées ou ignorantes.
Alors toutes les conceptions anciennes du prêtre médiateur des hommes avec Dieu et les conceptions sacrificielles deviennent obsolètes.
Le prêtre n’est plus séparé des croyants, n’a plus de « pouvoirs » particuliers.  En conséquence, ne peut plus manipuler les consciences qui sont renvoyées à elles-mêmes dans leur quête spirituelles. (on voit le désastre aujourd’hui effectués par certains, appelés « accompagnateurs spirituels »).
Le discernement se fera dans cet être-ensemble de foi et de partage.

Cléricalisme : ça se passe dans la tête des prêtres d’abord ?

Peut-être qu’aujourd’hui l’urgence d’une remise en cause ecclésiale cléricale se situe dans la tête des clercs eux-mêmes. A mon avis, à part les bruyants intégristes de tous poils, les fidèles sont prêts.
L’institution, à travers ses prêtres qui se veulent détenteurs d’une tradition et d’un pouvoir à garder, doit faire son chemin de Canossa pour que cette remise en cause soit enfin donnée.
« Il n’y a plus ni homme ni femme, ni esclave, ni homme libre… » disait Paul.
J’ajoute ni clercs, ni laïcs, mais, pour les croyants, rien que des baptisés à égalité de dignité. 
Je vais plus loin : Pour les hommes de cette Terre, même non baptisés, il n’y a plus que des fils, des enfants d’un même Père. Et pour ceux qui ne le connaissent pas encore où qui l’adorent différemment, un des chemins pour le prêtre d’aujourd’hui serait d’ouvrir tout homme à son intériorité; là où sont appelées à grandir ce que les Pères de l’Eglise nommaient les « semences christiques » présentes en tout homme, sans esprit de récupération.  Etre prêtre de la Grande Eglise du Monde où l’humanité serait enfin réconciliée avec elle-même et avec son Dieu. Etre prêtre pour qu’advienne une heureuse espérance dont la petite église institutionnelle  ne serait que la promesse de la grande Ecclesia) … (C’est vrai, on n’y est pas encore !)
Le sociologue Marcel Gauchet disait que le christianisme est la religion de la sortie de la religion. Quelle belle vision que celle de libérer l’humanité de toutes ses esclavages de religiosité, de magie, de merveilleux…
Il n’y a plus de croyants ou d’incroyants mais des hommes et des femmes unis dans une même humanité en quête de dignité, de liberté et de fraternité, celles des enfants de Dieu. C’est là aujourd’hui l’heure de l’Eglise et de ses clercs pour les ouvrir à plus grand qu’eux et spiritualiser le Monde .

Christ est cosmique

Pour moi, le « lieu » privilégié de l’ investissement du prêtre ne serait-il pas d’ouvrir tout homme à un engagement personnel ou communautaire près des souffrances et des détresses, tout comme près des joies et bonheurs de leur concitoyens ? Car c’est du pipeau si la foi ne se traduit pas en actes de générosité et d’altruisme.
Les inviter à quitter les églises, les sacristies et les enfermements  (comme les relations individuelles exclusives avec un petit Dieu personnel  sans lien aucun avec le prochain ( (ou si peu), dans des adorations qui démobilisent  ? (Je suis d’ailleurs étonné de cette propension à voir surtout Dieu dans les « présences eucharistiques » au détriment de celle de la Parole, du frère proche, ou à l’intime de chacun … Ah que j’aimerai moi-même avoir autant de déférence vis-à vis d’un voisin en souffrance devant qui m’agenouiller ou d’une violette, d’un pinson, d’une étoile, comme certains le font pour la dite « communion » …. Christ est « cosmique », présent en tous, en toutes personnes et toutes choses et pas spécialement ou « idéalement » dans le Pain eucharistique…  )
J’ai vu au Brésil les ravages de cette déconnexion des réalités sociales et politiques de l’Église locale en s’enfermant dans de pieuses adorations. La théologie de la libération avait déplu.
Perte de cohérence, de crédibilité, de sens.

Oui, que les prêtres fassent le Sacré par cette sanctification du Monde en étant  Lumière pour les errants et les chercheurs de Dieu, quels qu’ils soient. Sel qui donne du goût à la vie, Baume dans les relations qui minent notre monde et notre société, Voyant pour son entourage qui doute, Prophète de la Présence universelle du Christ en tout être et en toute chose,  Faiseur d’humanité et Portier qui ouvre vers un Monde qui attend de leur compassion que le Monde de Dieu surgisse loin des boutiques religieuses et des enfermements dogmatiques et de leurs violences.

Inviter et accompagner les prêtres et, surtout parmi eux les « fonctionnaires de Dieu », à quitter leur rôle, leur pouvoir, leur certitudes de toujours, ne se fera pas sans les laïcs. Dans cette démarche, il faut des rivages de tendresse et de compassion pour sortir des turbulences et des tempêtes qui déroutent et déstabilisent. Sinon la barque de leur vie risque de s’échouer dans la désolation et l’incompréhension, à défaut de la désespérance de la solitude et de l’alcool. Encore faut-il que, pour les uns, accepter de se remettre en cause et de s’ouvrir avec confiance aux appels de l’Esprit, et pour les autres, d’avoir des bras accueillants et bienveillants pour panser sans juger et pour que, de part et d’autre, une joie simple et libérée demeure au fond des cœurs.
Ils diront tous alors la présence du Christ en eux.
Qu’ils soient prêtres ou laïcs, tous sont appelés à sanctifier le monde, chacun avec le charisme qui lui est propre …

Merci à l’animateur de la session jeûne d’avoir pu m’aider à mettre des mots sur ma perception des clercs.
C’est aussi une manière d’être bon pain pour les autres; et, bon pain, il l’a été pour moi.
Rien n’est figé, la Vie est une marche.

Toute réaction est la bienvenue dans les commentaires…. car ce point de vue n’est que le mien ! Et je sais qu’il est partial, subjectif et rapidement « taillé à la hache », donc pas forcément ajusté.

Une réponse sur “Le prêtre, un autre Christ vraiment ?”

  1. une amie participante comme vous, m’a transmis votre lien et je me sens complètement rejointe dans ma perception des choses!;)
    J’en ai marre que tout tourne autour de l’Eucharistie: « cœur et centre de la foi »!? au détriment de la rencontre fraternelle et du partage en communauté de la Parole biblique!
    J’en ai marre que la participation à la messe soit l’un des seuls repères pour être qualifié de « croyant pratiquant »….alors que les prêtres pédophiles la célèbrent tous les jours et continuent leurs exactions!….
    J’en ai marre du sort réservé aux femmes dans l’institution et sa gouvernance!…. J’ai appris récemment que les communautés religieuses féminines, en cas de revente de leur monastère devaient donner la moitié du prix à l’évêché, contrairement aux communautés d’hommes où le prix revenait entièrement à l’ordre dont ils dépendent!??
    J’en ai marre qu’on écarte les petites filles du service de l’autel, qu’on fasse encore retomber sur Ève le péché!!!(2 témoignages sûrs de petits garçons qui disent: « c’est normal que les filles ne soient pas dans le chœur, c’est quand même Ève qui a péché! »
    Nous sommes dans une démarche synodale dans notre diocèse et j’ai bien l’intention de dire ce que j’en pense…
    je ne veux pas perdre pour autant mon amour fraternel pour chaque personne rencontrée, prêtres, diacres ou laïcs quel qu’ils soient!;))

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *