A propos des retraites

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Je marche un peu sur des œufs pour écrire ma perception du débat sur la réforme des retraites qui s’instaure. Sans compétences aucune, si ce n’est celle d’un citoyen lambda, j’ose toutefois ma parole.

Faut-il se mettre en retrait ? Faut-il rester extérieur et donc spectateur de ce qui se passe, sans s’impliquer du fait que je suis déjà en retraite et que la problématique ne me concerne pas directement ? Ne serait-ce pas alors tomber justement dans le projet gouvernemental d’individualiser ces enjeux de solidarité et préconiser l’individualisme et le sauve-qui-peut pour chacun ?

Une tribune de libération en 2019, toujours d’actualité, signée de tous les partis de gauche dénonçait déjà :

 » …Dans le monde selon E. Macron, les statuts collectifs disparaissent. Il ne reste que l’individu face à son destin, évoluant sur le marché, traversant la rue pour obtenir un emploi, surveillant son compte de retraite à points pour arbitrer entre la prolongation de son travail et son niveau de pension. A condition bien sûr de ne pas être au chômage, en maladie, ou en invalidité, comme beaucoup de salarié·es après 60 ans… « 

A l’origine pourtant, le projet du communiste Ambroise Croizat lors du projet du Conseil national de la résistance (CNR) visait une Sécurité sociale universelle. Les grèves de l’époque ont obtenu qu’une part plus élevée de la richesse soit attribuée au bien-vivre après des années éreintantes de travail, pour que la retraite puisse prolonger une vie de labeur par des revenus dignes pour assurer une vie familiale paisible, une bonne santé, une sécurité assurée, des activités amicales, familiales ou associatives heureuses et épanouissantes. C’était une manière de concevoir un progrès de l’espérance de vie.

Alors, pourquoi s’acharner à le démanteler aujourd’hui ? « Pourquoi vous acharnez-vous sur les travailleurs  ? « demandait récemment une sénatrice au gouvernement.

Car, objectivement, aujourd’hui la réforme ne se justifie pas malgré les mantras mensongers des pouvoirs publics et de ses médias. Rien ne prédispose à une réforme si ce n’est une option politique, ou plutôt purement politicienne, pour favoriser encore plus le dérèglement libéral avec toutes ces conséquences néfastes aujourd’hui reconnues.

Avec des arguments tirés par les cheveux, de contre vérités relayées par les chiens de garde médiatiques, cette réforme inutile aujourd’hui, telle qu’elle est « proposée », ne favorise que l’enrichissement et la capitalisation pour les plus riches, car les plus pauvres, déjà pressurisés et dans l’incapacité de mettre de côté pour leur vieux jours, feront une nouvelle fois les dindons de la farce dans l’impossibilité de souscrire une épargne privée.

La même tribune proposait de choisir la solidarité plutôt que l’individualisme :

« ««  …Au total, la contre-réforme des retraites participe d’un plan de destruction des systèmes de solidarité : suppression des services publics, réforme punitive de l’assurance chômage, privatisations (ADP), attaques contre tous les statuts salariés.

Contre ce bouleversement de société, notre alternative repose sur un socle de droits universels : une retraite à 60 ans avec un taux de remplacement à 75% indexé sur les meilleurs salaires, garanti pour tous et toutes. Mais aussi un droit collectif à un départ anticipé en fonction de la pénibilité du travail, pour une retraite en bonne santé. Cela exige une augmentation des cotisations socialisées incluant les profits financiers. Et une baisse du chômage par la réduction du temps de travail apporterait aussi des ressources… »

Cette retraite à 60 ans est possible. Dans les différentes caisses, près de 260 milliards d’euros sont mis de coté pour faire face à un éventuel déficit qui, pour aujourd’hui et les décennies à venir, aujourd’hui n’existe pas ! Au contraire l’année 2022 a jouit d’un excédent jamais vu dans les annales des caisses de retraites (3,7 milliards d’euros attendu à l’Agirc-Arrco en 2022, après le surplus de 2,6 milliards déjà enregistrés en 2021 !)

 Certains partis de gauche ont prouvé que la retraite à 60 ans était possible en détaillant son financement, approuvé et validé par plus de 1500 économistes et experts nationaux et internationaux …même de droite. Mais pour cela il faudrait inclure les niches fiscales et les superprofits financiers de ceux qui se goinfrent …Donc toucher les revenus des nantis et des « premiers de cordée » qui se gavent pendant que les pauvres et les derniers de corvée attendent toujours que « ça ruisselle » Ce ne serait que justice.

Par contre, il n’est pas question d’augmenter les salaires, d’offrir la parité entre hommes et femmes (on sait que l’application effective de l’égalité salariale permettrait un afflux de ressources de 6 milliards d’euros au moins)

La tribune poursuit » ««  …Alors pourquoi s’acharner à le démanteler ? Parce que ce gouvernement veut à tout prix obliger les travailleurs, femmes et hommes, y compris les indépendants, à s’adapter aux règles du libéralisme : les droits coûteraient trop chers parce qu’ils sont socialisés et incluent une solidarité collective (carrières incomplètes, années de chômage, enfants). Au lieu d’une retraite où la prestation est d’avance garantie, ce pouvoir cherche à imposer un système où seule la cotisation est définie. Chacun sait ce qu’il cotise pour acquérir des points, mais personne ne sait quelles prestations seront versées. La conversion des points en pension pourra évoluer en fonction de la marche générale de l’économie. Le gouvernement aura la haute main sur ce choix à chaque budget annuel de la Sécurité sociale. La «caisse des retraites» où siègeront les syndicats ne pourra donner qu’un avis.« 

Pour ma part je m’interroge : qu’en sera-t-il de la justice ? Du vivre-ensemble harmonieux ? De l’espérance de vie pour tous en bonne santé ? De la dignité de ceux et celles qui sans aller jusqu’à 62 ans aujourd’hui sont déjà au chômage depuis des années parce que trop vieux ? De tous ceux qui subissent avec leur famille des conséquences médicales d’une vie de corvée et qui mourront avant de pouvoir bénéficier de cette retraite pour laquelle ils ont cotisé ?

 « …Le débat se présente en effet dans de mauvaises conditions, avec la confrontation de deux camps qui ne semblent avoir d’autre option que de faire plier l’autre. Une situation navrante, qui reflète la manière belliqueuse de faire de la politique en France et la mauvaise qualité du dialogue social… » notait l’édito de La Croix le 10 janvier.

« « « Mauvaise qualité du dialogue social « . Mais de qui vient-elle quand aucune des propositions des syndicats n’a été retenues, quand on gouverne à coup de 49.3, quand on limite ou refuse le débat parlementaire, quand on se situe dans un superbe déni démocratique ?

La défense que vont organiser les opprimés et les exploités de la société va encore faire grincer des dents (grèves, fermetures des centre d’approvisionnements pétroliers, heurts avec les forces de l’ordre, incertitudes face au climat social, …). Le pays n’a vraiment pas besoin de ce combat. Il y a des priorités plus essentielles à prendre face à l’incompétence des dirigeants successifs : éducation, santé, travail, destruction ou privatisation des services publics, injustice sociale, pauvreté et précarité de plus en plus grandes, dérèglement climatique, énergies et transports au bord de la rupture, violences administratives, étatiques, policières … la liste est longue de ces incompétences organisées dans le pays qui va jusqu’à octroyer 160 milliards d’euro aux grandes entreprises sans contrepartie aucune. Les actionnaires n’en demandaient pas tant !! Ces « subventions » représentent de loin le premier poste de dépenses publiques.

En écrivant cet article, j’entends les interpellations joyeuses des retraités boulistes en bas de chez moi, qui se retrouvent pratiquement chaque jour pour bien vieillir dans l’amitié. C’est aussi la vie de ces hommes et de ces femmes qui sera remis en cause dans leur disponibilité familiale, pour la garde de leurs petits enfants dans une solidarité intergénérationnelle ; dans leur engagements dans bon nombre d’associations humanitaires, car ils ont gardé un grand sens de l’altruisme et de la solidarité ; dans leur temps personnels pour lire, bricoler, dépanner le voisin, prendre soin de leur conjoint et d’eux-mêmes, se soucier de l’environnement… vivre enfin…

Oui, je crois que nous allons au devant d’une entreprise de démolition sociétale si cette mesure était imposée contre l’avis de 70 % de la population. (Pour rappel, Macron n’a été élu qu’avec 20 % de voix au premier tour. Son second score n’a été validé que par un rejet massif de Marine Le Pen). Ce n’était, en aucun cas, un blanc-seing pour imposer une vision individualiste et capitaliste de la société.

En fin de compte, ne serait-ce pas une vision ultralibérale de la société qui veut s’imposer aux profit de quelques nantis contre une philosophie humaniste d’un vivre-ensemble harmonieux pour tous ? Je reste un naïf, mais j’irai, rien que pour cette raison, manifester à Paris.

Voir aussi l’analyse d’Attac sur les 7 perfidies de la réforme des retraites 2023

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