Un des thèmes (si on peut en parler ainsi) qui revient avec force dans l’encyclique est celui des migrants.
Pape François ne va pas par 4 chemins et interpelle les chrétiens sur leur cohérence avec leur foi et les Evangiles.
Ce qui m’étonne dans la réception de ce texte c’est qu’il n’est pas reçu par les tenants d’une Eglise traditionnelle qui n’ont pas de mots assez durs pour vilipender le pape qui pourtant ne fait qu’appliquer la doctrine sociale de l’Eglise et surtout les paroles du Christ qui les invite à vivre fraternité et compassion vis-à-vis des plus démunis.
En ce sens, le chapitre 2 consacré à une réflexion sur le Bon Samaritain souligne qu’ « Il n’y a plus de distinction entre l’habitant de Judée (l’autochtone) et l’habitant de Samarie (l’étranger), il n’est plus question ni de prêtre ni de marchand ; il y a simplement deux types de personnes : celles qui prennent en charge la douleur, et celles qui passent outre ; celles qui se penchent en reconnaissant l’homme à terre, et celles qui détournent le regard et accélèrent le pas. En effet, nos multiples masques, nos étiquettes et nos accoutrements tombent : c’est l’heure de vérité ! Allons-nous nous pencher pour toucher et soigner les blessures des autres ? Allons-nous nous pencher pour nous porter les uns les autres sur les épaules ? C’est le défi actuel dont nous ne devons pas avoir peur. En période de crise, le choix devient pressant : nous pourrions dire que dans une telle situation, toute personne qui n’est pas un brigand ou qui ne passe pas outre, ou bien elle est blessée ou bien elle charge un blessé sur ses épaules »…
« le pape fait de la politique »…
Les conservateurs libéraux, y verront encore et toujours l’action et les discours du pape comme étant de la politique et le traiteront de gauchiste ! Auront-ils pris seulement le temps de lire ce document tant la haine et les mépris les habitent ? J’en doute.
Mais comment peut-on dissocier foi et politique ? « Faire de la politique » devient pour eux une injure méprisante.
Pourtant, « ceux qui émigrent « vivent une séparation avec leur environnement d’origine et connaissent souvent un déracinement culturel et religieux. La fracture concerne aussi les communautés locales, qui perdent leurs éléments les plus vigoureux et entreprenants, et les familles, en particulier quand un parent migre, ou les deux, laissant leurs enfants dans leur pays d’origine ». Par conséquent, il faut aussi « réaffirmer le droit de ne pas émigrer, c’est-à-dire d’être en condition de demeurer sur sa propre terre ».
Et pour ceux qui auraient peur d’accueillir toute la misère du monde, Pape François rappelle que « aidée par son grand patrimoine culturel et religieux, l’Europe a les instruments pour défendre la centralité de la personne humaine et pour trouver le juste équilibre entre le double devoir moral de protéger les droits de ses citoyens, et celui de garantir l’assistance et l’accueil des migrants ».
« … Je comprends que, face aux migrants, certaines personnes aient des doutes et éprouvent de la peur. Je considère que cela fait partie de l’instinct naturel de légitime défense. Mais il est également vrai qu’une personne et un peuple ne sont féconds que s’ils savent de manière créative s’ouvrir aux autres… »
Jonathan Guilbaut dans la presse canadienne affirme : « … C’est un camouflet retentissant au visage des courants les plus conservateurs dans l’Église, obsédés par la sauvegarde des repères identitaires, hostiles à tout ce qui n’est pas étiqueté 100 % catholique. En substance, François enseigne qu’il s’agit là en fait de pharisaïsme, et que nulle vraie fraternité ne peut émerger de cette posture.… »
tous ensemble ?
Par contre à l’opposé de ces tradis qui « se replient sur la défense aveugle de leur statut confortable, dans une indifférence croissante envers les autres » (Patrice de Plunket), le texte résonne favorablement et de manière heureuse chez certaines personnes plutôt positionnées à gauche de l’échiquier politique (mais pas toutes : la frontière est subtile entre les extrêmes et le passage de la gauche extrême est facile vers la droite extrême) : il rejoint l’actualité de beaucoup de ceux qui se battent pour établir des solutions et économiques politiques pour la dignité de chacun et l’unité d’une société qui s’émiette.
Jean Luc Mélenchon, par exemple, commente :
« L’encyclique Fratelli tutti du pape François peut ouvrir un salutaire temps de réflexions partagées … Il s’agit de valoriser tout ce qui peut nous unir sans nous renier. Il le faut au moment où la civilisation humaine tout entière est mise au défi de sa survie par l’effondrement de son écosystème…. «
… L’influence intellectuelle qu’exerce le catholicisme sur près d’un milliard et demi de consciences dans le monde est un facteur peut-être décisif. Elle impacte la façon dont les humains se positionneront face au défi de l’extinction de la biodiversité dont ils sont un composant indissociable. Chacun pour soi ou tous ensemble ? Je reçois donc Fratelli tutti comme un signal.
Je veux y donner un écho, sans prétention, sur trois points.
Le premier concerne la critique du modèle économique néolibéral et sa responsabilité dans le chaos. Ses mots ressemblent assez aux miens pour que j’en sois ému. …
… Le second concerne son appel à éclaircir la notion de « peuple » comme acteur de l’histoire. Je partage son exigence. Il faut démythifier la notion de peuple. On ne peut lui attribuer une essence bonne ou mauvaise par nature. Le pape aussi ne dissocie pas la définition du peuple de la critique du néolibéralisme.
« La catégorie de peuple, écrit-il, qui intègre une valorisation positive des liens communautaires et culturels, est généralement rejetée par les visions libérales individualistes où la société est considérée comme une simple somme d’intérêts qui coexistent. »
« … Il est important pour nous de recevoir l’appui de la condamnation morale du pape quand il déclare : « Dans certains contextes, il est fréquent de voir traiter de populistes tous ceux qui défendent les droits des plus faibles de la société. Pour ces visions, la catégorie de peuple est une mythification de quelque chose qui, en réalité, n’existe pas. »
« … De là on passe au troisième point qui peut déboucher sur une vision universaliste fraternelle partagée entre croyants et incroyants. Il s’agit de la définition d’un peuple « ouvert ». Elle me semble venir à point nommé dans le débat français. Nous aussi nous rejetons la notion de peuple enfermé dans la répétition d’une identité figée. « Les groupes populistes fermés, écrit le pape, défigurent le terme “peuple”, puisque en réalité ce dont il parle n’est pas le vrai peuple. En effet, la catégorie de ‘‘peuple’’ est ouverte. Un peuple vivant, dynamique et ayant un avenir est ouvert de façon permanente à de nouvelles synthèses intégrant celui qui est différent. Il ne le fait pas en se reniant lui-même, mais en étant disposé au changement, à la remise en question, au développement, à l’enrichissement par d’autres ; et ainsi, il peut évoluer. »
L’amitié sociale pour unir et ouvrir l’avenir
Cette « vision universaliste fraternelle » nous invite à redécouvrir « l’amitié sociale » alors que la société nous fait macérer dans une ambiance conflictuelle et délétère et surtout divise les personnes et les nations, car « la société toujours plus mondialisée nous rapproche, mais elle ne nous rend pas frères ».
Alors que les gouvernants limitent les libertés individuelles, associatives, religieuses sous prétexte de Covid et que les Médias liquéfient les pensées et les consciences, Pape François nous met en garde :
» Un moyen efficace de liquéfier la conscience historique, la pensée critique, la lutte pour la justice ainsi que les voies d’intégration consiste à vider de sens ou à instrumentaliser les mots importants. Que signifient aujourd’hui des termes comme démocratie, liberté, justice, unité ? Ils ont été dénaturés et déformés pour être utilisés comme des instruments de domination, comme des titres privés de contenu pouvant servir à justifier n’importe quelle action. »
et pour lui, « Cela n’est pas surprenant si nous considérons l’absence d’horizons à même de nous unir, car ce qui tombe en ruine dans toute guerre, c’est « le projet même de fraternité inscrit dans la vocation de la famille humaine » ; c’est pourquoi « toute situation de menace alimente le manque de confiance et le repli sur soi ». Ainsi, notre monde progresse dans une dichotomie privée de sens, avec la prétention de « garantir la stabilité et la paix sur la base d’une fausse sécurité soutenue par une mentalité de crainte et de méfiance »
Voici l’heure de se positionner en vérité
« … Dans ce monde qui avance sans un cap commun, se respire une atmosphère où « la distance entre l’obsession de notre propre bien-être et le bonheur partagé de l’humanité ne cesse de se creuser et nous conduit à considérer qu’un véritable schisme est désormais en cours entre l’individu et la communauté humaine. […] Parce que se sentir contraints à vivre ensemble est une chose, apprécier la richesse et la beauté des semences de vie commune qui doivent être recherchées et cultivées ensemble, en est une autre » 31
Ce qui est certains c’est que l’ultralibéralisme tue. Face au système économique qui nous est imposé sans discernement, les paroles de Pape François nous ouvre les yeux et nous font comprendre, en écho à Laudato si, que tout est lié. Et c’est ensemble, croyants et incroyants, hommes et femmes de bonne volonté, sans a priori ni enfermements péremptoires, que nous devons prendre à bras le corps les défis de la fraternité. Nous sommes au pied du mur pour renverser la vapeur. L’enjeu est universel et la réponse urgente.
Oui, « c’est l’heure de vérité ! Allons-nous nous pencher pour toucher et soigner les blessures des autres ? Allons-nous nous pencher pour nous porter les uns les autres sur les épaules ? C’est le défi actuel. »
Etonnant donc cette propension des libéraux à traiter de « gauchiste », de « populiste », de « communiste » ceux qui luttent pour la justice, prônent la solidarité, s’inquiètent du sort des défavorisés et luttent pour leur dignité, militent pour une juste répartition des richesses, en un mot vivent « l’amitié sociale » .