Un corps spirituel à recevoir et à construire

partager

La semaine de l’unité des chrétiens se termine. Je vous propose un nouvel extrait de mon livre « Jours sombres en Église » tiré de son troisième chapitre. Je le choisis car il y est question d’unité. Si ce chapitre concerne l’unité des catholiques dans leur Église (puisque le thème du livre la concerne essentiellement), il est évident qu’elle déborde le cadre de cette Institution ecclésiale, voire, pour moi , les religions, pour rejoindre tous les hommes et les femmes de ce temps, croyants ou non.
Ce chapitre fait partie d’une vingtaine de propositions que je fais pour tenter de changer les méthodes ecclésiales qui enferment et ouvrir les esprits à une autre forme de vie communautaire pour se recevoir comme membres d’un même Corps. Mais, faut-il garder cette orientations en institution ou s’ouvrir, au nom de notre foi, à toute l’humanité ?

« … Face à ce qui est perçu par beaucoup comme « individualisme », que devient le vivre-ensemble ? N’y a-t-il pas, risque de repli sur soi, de chacun pour soi, dans un sauve-qui-peut individuel ou clanique, provoqués par les soubresauts d’une Société et une Église sans vision et désemparées devant les fléaux du Monde ? C’est un risque en effet. En même temps, je crois que notre temps n’a jamais eu autant de gestes solidaires, altruistes, citoyens ; à commencer dans nos propres voisinages ou notre vie locale. Et cela se vérifie à un niveau planétaire et dans tous les domaines.

Comme une prise de conscience que nous nous en sortirons tous ensemble ou pas. Prise de conscience qui rejoint les leçons de l’Histoire : depuis la nuit des temps, les groupes humains qui s’en sont sortis face aux adversités sont ceux qui ont su vivre la solidarité et l’esprit de clan, de groupe.

En Église, lors des rencontres dominicales ou autres, faut-il s’accommoder d’une juxtaposition d’individus pour faire communauté et renvoyer chacun à lui-même dans un tête-à-tête avec le divin ? Beaucoup de fidèles tradis font ainsi leurs dévotions personnelles pendant que l’officiant entretient, dans une grande solitude, « le profond mystère » à l’autel, tout en réveillant ses ouailles régulièrement d’un « le Seigneur soit avec vous », histoire de les mettre dans le coup et de les sortir de leurs missels ou de la récitation de leur chapelet. Le vivre-ensemble suffit-il s’il n’est pas fondé sur le Christ pour les croyants ? Sur un partage et une fraternité ? Qui les rassemble ? Au nom de quoi se retrouvent-ils ? Par peur ? Par obligation ? Ou par réponse heureuse à un appel ? Le Corps grandit essentiellement dans la liturgie eucharistique qui signifie l’unité de ses membres en Christ.

Sans compétence, je n’ose trop m’aventurer dans ce domaine, source de toutes les crispations. Juste affirmer que, pour moi, le Corps du Christ réside surtout dans la capacité des croyants à se rassembler et faire unité dans le mémorial du dernier repas de Jésus. Le « Ceci est mon corps » n’est-il pas d’abord le Corps de la communauté célébrant ensemble, faisant unité ensemble, faisant ecclésia ensemble, comme une équipe sportive fait corps, comme des citoyens font corps lors d’événements douloureux inacceptables ? Dans la vie de tous les jours, nous sommes liés les uns aux autres, dépendants des autres, surtout dans les épreuves comme la Covid ou les interrogations face à la guerre en Ukraine. Saint Paul emploie l’image du corps humain pour dire l’interdépendance des membres. Mais une théologie sacrificielle expiatoire, entretenant le mystère, plonge le rassemblement dans des méandres douteuses qui frisent l’ésotérisme, le sibyllin, le magique ou le merveilleux. Comment le sacrificateur ne se sentiraient-ils pas tout puissants et écrasés par cette immense tâche de faire « descendre » son dieu sur l’autel ?

Il leur faut retrouver la simplicité et la vérité de retrouvailles joyeuses, fêtant la mise au rebut définitive d’une religion de sacrifices que Christ est venu abolir une fois pour toutes. Mais ce serait une perte de crédibilité pour certains de ces religieux ; par contre, ils retrouveraient une vraie crédibilité pour le message évangélique et l’appel de Jésus à désacraliser les Temples et les Églises. Ouverture d’un regard vers le frère ou la sœur, le voisin et la voisine, jusqu’à la dimension de la Planète et de l’Univers. Refus d’entretenir à coup de goupillon, d’encens et de bruits de clochettes un rite de  l’ancien temps. « Qu’ai-je besoin de l’encens qui vient de Séba, Du roseau aromatique d’un pays lointain ? Vos holocaustes ne me plaisent point, Et vos sacrifices ne me sont point agréables » lit-on dans Jérémie (6-20), 2600 ans avant notre époque. Le prophète Amos surenchérira : « Je hais, je méprise vos fêtes, Je ne puis sentirvos assemblées. » Ainsi la plupart des prophètes de l’Ancien Testament. Jusqu’au Christ lui-même qui a supprimé cette liturgie antique et donnera sa vie pour que cesse cette religion qui entretient des relations mortifères avec un faux dieu : il ouvre un nouveau chemin de libération sans contrepartie aucune.

Comment tourner la page, se libérer, ne pas s’appesantir et ne pas s’enliser dans des rites d’un autre âge, d’une autre religion ? Il y a à retrouver des liturgies nouvelles, simples et festives, communautaires et donc fraternelles, pour fêter la libération que nous apporte Jésus par sa mort et sa résurrection.

Je regarde de temps en temps l’émission « Le jour du Seigneur » à la télévision. Dernièrement, la célébration était d’une tristesse incommensurable. Pas un sourire de toute la cérémonie de la part du célébrant ou du prédicateur devant une assemblée de vieillards passifs et tristes. J’en ai pleuré. Nos paroisses qui veulent encore et encore durer ont perdu le sel de la joie.

Individus et communautés sont renvoyés à leurs capacités à faire unité ; celle de chacun en son for intérieur et celle du groupe dans son désir de se retrouver pour célébrer celui qui les rassemble. /…/ C’est le dernier appel du Christ avant sa mort : Que tous soient un. Unité en lui, avec lui, par lui. Faire corps, ce n’est pas s’aligner derrière un seul chef et ne voir qu’une seule tête, n’entendre qu’une seule pensée ou avis, refuser toute critique et rejeter toute contestation. Ou alors, ce sera comme lors de la dernière session du synode allemand, où les participants constatent qu’il « n’y a eu aucune proposition de la part des opposants pour modifier le texte. C’est du blocage systématique dans un processus censé être synodal ».

L’emprise cléricale de certains évêques, prêtres, responsables et laïcs entretient une conception de la centralité du prêtre sans laquelle, pour eux, aucune communauté, aucune paroisse ne pourrait fonctionner. Même s’il s’entoure de coresponsables, la décision finale reviendra au responsable paroissial ou diocésain pour établir une orientation, un projet…

Dans la doctrine sociale de l’Église catholique, travailler ensemble, cela s’appelle le principe de subsidiarité : ne pas faire à la place de quelqu’un ce qu’il peut faire lui-même. Cela suppose délégation confiante, dialogue et ouverture à la différence. Terrible constat que de voir laisser aujourd’hui, dans les mains d’un seul homme, au nom même de sa consécration, ce poids d’un fonctionnement millénaire qui entretient une conception erronée du prêtre et une institution hors sol.

Voilà donc nos clercs faisant le grand écart entre une soi-disant « fidélité » à l’Institution et à ses règles de fonctionnement et les aspirations de l’Esprit qui montent dans leur conscience. Les voilà pris dans les tourments des injonctions paradoxales et des conflits de loyauté tant ils sont prisonniers de la sacralisation du pouvoir clérical. Il y a quelque chose d’inhumain dans cette approche et ce maintien de procédés destructeurs.

Et ce sera souvent à travers cette « capacité » à affronter cette inhumanité que l’Église déclarera « saint » ou « bienheureux » ceux ou celles qui l’auront vécue et traversée ! Nouvel éloge du cléricalisme… Heureusement, les consciences de ceux qui ne se prennent pas pour des surhommes s’ouvrent de plus en plus à la coresponsabilité.

Si la lecture de ce livre vous intéresse, vous pouvez le commander ici au prix de 16 euro – 254 pages ou par l’intermédiaire de votre libraire habituel avec les référence du titre, de l’auteur et de l’éditeur.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *