Péché originel : j’en veux à Augustin…

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Mon expérience de vie, mes formations professionnelles, mes recherches sur le plan humain et spirituel m’ont amené à des convictions qui me font dire que le fond de l’homme est essentiellement positif. En affirmant cela, je me rends compte que je me mets en porte-à-faux avec la tradition religieuse chrétienne qui, depuis St Augustin au IVème siècle, a posé le fondement de la vie chrétienne disant que l’homme naît pécheur.

C’est à partir de ses frasques d’adolescence et de jeunesse (vol de poires en bande, par esprit de transgression et par « simple plaisir de faire ce qui était défendu », passions amoureuses et sexuelles effrénées (« Ce qui surtout me tenait prisonnier et me tourmentait violemment, c’était l’habitude d’assouvir une insatiable concupiscence ») qu’il élaborera, après sa conversion, la doctrine du péché originel. On lui attribuera la détestation du corps, le rejet de la sexualité et du plaisir. Il avait une énergie débordante et un « détail » de sa vie (qu’il rapportera) sera pour lui révélateur : en pleine adolescence, Augustin se faire surprendre par une érection aux Thermes de sa ville de Thagaste . Et l’embarras fut grand quand son père Patricius, « ravi de vanter la vigueur toute romaine de son fils, s’empressa de raconter l’épisode à sa femme Monique, chrétienne fervente, qui, elle, se montra horrifiée.  » Ce fut pour Augustin une expérience importante que cette prise de conscience adolescente des caprices du corps et de la découverte du désir et de la honte.

Jusqu’à aujourd’hui nous traînons et nous supportons encore  la vision manichéenne de son approche : celle d’un corps objet de concupiscence, de désir, et celle d’une âme qui est moralement responsable du tort que cause notre corps : celle-ci porte en elle la marque du péché source de corruption de notre corps. Pour Augustin, face aux incapacités des hommes à se maîtriser, seule la grâce de Dieu est nécessaire pour être « sauvé ».

C’est mettre en sourdine la liberté morale de l’homme et sa capacité à se dresser comme responsable de ses actes. Dans mon préambule, j’affirme et je crois que, dès le début de ses origines, l’homme est fondamentalement bon. La Bible nous rapporte qu’ il a été créé à l’image de Dieu. Il peut librement choisir de grandir à sa ressemblance. C’est tout le contraire de la théorie de St Augustin qui dit que l’humanité n’a aucune possibilité de choisir de pécher ou de ne pas pécher et qu’elle est donc incapable de réaliser son salut par elle-même.

Les Églises chrétiennes vont s’emparer au cours des siècles de cette doctrine pour développer les notions de culpabilité (« c’est ma faute, ma très grande faute«  « Pardon ! »…), d’indignité (« je ne suis pas digne, je suis un misérable vers de terre »), d’irresponsabilité (alors que l’homme peut décider par lui-même de participer à l’élan de grâce qui lui est proposé : le bon larron ou l’enfant prodigue en sont des exemples évangéliques).

Beaucoup de Pères de l’Église refuseront l’approche d’Augustin. Comme Cassien qui écrira : « …Il subsiste toujours dans l’être humain une volonté libre qui peut ignorer ou apprécier le don de la grâce. […] La grâce de Dieu travaille toujours avec notre volonté en faveur du bien, l’aidant en toutes choses, la protégeant et la défendant, de sorte qu’elle exige même parfois et attend de nous certains efforts de bonne volonté, de peur qu’elle ne semble accorder entièrement ses dons à quelqu’un qui est endormi ou relâché dans une indolence paresseuse… »

Face à une doctrine augustinienne qui met en avant la dépravation totale de l’humanité ainsi que la conviction que la création est fondamentalement et naturellement imparfaite, il serait peut-être bon de réaffirmer un Dieu bon, présent au cœur de l’homme,  et un homme appelé à grandir en liberté et en dignité, lui qui a été créé à l’image d’un Dieu qui dira, lors de la création ,que cela est bon, mais pour l’homme et la femme dira que « cela est très bon ».

Cela amènera à constater pour John Main, fondateur de la WWCM que les hommes et femmes ont aujourd’hui « perdu le soutien d’une foi commune en leur bonté fondamentale, leur sagesse et leur intégrité intérieure [ainsi que la conscience] du potentiel de l’esprit humain plutôt que des limites de la vie humaine. »

Nous sommes héritiers, après 15 siècles, de cette vision chrétienne et surtout catholique, qui a modelé la culture occidentale, avec toutes ses déviances et crimes. Cette histoire est douloureuse, modelée par l’approche d’Augustin. On peut comprendre le rejet massif aujourd’hui de cette doctrine religieuse qui enferme, tue, est source de névroses, de schizophrénies, de mal-être, de déconnexion des réalités de l’existence. Par elles, l’Église-institution s’est posée en garante d’un vivre-ensemble où pouvoirs politiques et religieux s’accordaient pour tenir en laisse une société de peur moralisante à partir et autour de la sexualité. La doctrine du péché originel entraîne celle du rachat et du salut (Pour qui ? Pour quoi ?) Elle est rabat-joie par définition.

Dans cette approche, la mythologie d’Adam et Ève et de leur péché est insupportable : pourquoi en serions-nous les héritiers sous prétexte qu’il est transmis par le sexe de génération en génération comme l’explique Augustin ? Quelle souillure aux yeux de l’Église ! Marie, elle, en sera préservée ; elle sera l’immaculée conception ! Une contorsion intellectuelle et dogmatique parmi bien d’autres pour justifier a contrario la notion de péché et maintenir des modes de gouvernance sur les consciences pendant des siècles. Mais naître n’est pas un crime. La Vie est belle et bonne.

Comment entendre aujourd’hui cette doctrine du péché des origines ? Pourquoi, si c’est à cause d’Adam et Eve qui ont croqué le fruit défendu, nous serions alors pécheurs ? Où sont alors la liberté et la responsabilité de l’individu ?

Je n’ai aucune compétence en la matière si ce n’est celle de mes expériences concernant le mal que j’ai pu faire à d’autres et celui qu’on m’a fait. Je constate combien mon « péché » est la résultante de blessures, de souffrances, de limites dues à ma condition humaine. Comme un refus, souvent involontaire, de grandir vers ma pleine humanité. Affaire souvent d’orgueil, de besoins, de désirs, d’égoïsme. Ceux-ci font parti de ma condition humaine. Alors plutôt que de m’accabler d’indignité, de culpabilité, je préfère l’attitude de l’homme Jésus qui dépasse les oukases religieux pour dire qu’il m’est possible de grandir en fidélité à ce pour quoi je suis appelé : avec tendresse, foi en la Vie, comme foi en l’homme, il m’appelle à une plénitude de vie, à sortir de mes tâtonnements et de mes imperfections, avec lui, à sa manière d’être fils d’un Père qui, nous dit-il, est bon et miséricordieux.

Ce qui est essentiel ce n’est pas que nous sommes « pécheurs » (Sociétés et Églises ne nous le rabâchent que trop !) mais que nous sommes aimés tels que nous sommes et placés sous un regard miséricordieux. Loin de l’image d’un Dieu qui demande des comptes, exige réparation et rachat par un fils envoyé au charbon pour le calmer…

L’humanité de Jésus est parlante et indicative des chemins à prendre pour sortir des ornières où peuvent nous mettre nos tristes faiblesses, nos ratages, nos dysfonctionnements et nos jugements. Là, pour moi, serait le « péché », s’il en faut un : de refuser ces appels à grandir en beauté, en dignité, en liberté. De refuser ces invitations et de continuer à macérer dans des à-peu-près, des autosatisfactions tranquilles.

Adam et Eve ce sont tout homme et toute femme, chacun de nous donc, qui refusons de grandir dans l’Amour et la bonté qui nous sont proposées par Jésus le Nazaréen. Nous sommes, dès notre naissance, des êtres de bonté et de tendresse. Les aléas de nos croissances, de nos éducations, de nos besoins disproportionnés, de nos violences pas encore maîtrisées peuvent nous égarer dans nos volontés et nos libertés et nous éloigner d’une vie belle et bonne. St Paul affirmait « je ne comprends rien à ce que je fais : ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais. (…) Le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais ». Il ne parle pas d’une explication, mais de son expérience, d’un constat.

En ces temps de Pentecôte, les Églises chrétiennes nous rappelle que l’Esprit ne cesse de se donner pour que l’homme discerne ce qui est bon pour lui (où, plutôt, invite à l’implorer, comme s’il avait disparu ! « Viens ! Viens ! » alors qu’il ne cesse de planer sur nos eaux de morts et de chaos pour appeler à la Vie). Voici les temps nouveaux pour accueillir cet Esprit libérateur, créateur de dignité et de fierté, unificateur de l’homme et des hommes entre eux, des hommes avec leur Dieu, des hommes avec la Création.

Au lieu d’écouter des propos doctrinaux et des dogmes qui tombent d’en haut, épuisants à vivre, apprenons à recevoir, dans une prière toute intérieure, l’Esprit de Jésus : Il nous met en chemin vers l’accueil de sa grâce et l’appel à la liberté. Ce n’est pas pour rien que la vie terrestre du Christ magnifie la beauté et la bonté intrinsèques des hommes.

On fait ce qu’on peut sur nos chemins de vie. L’important est de se poser avec cet Esprit dans un chemin de libération et de travailler avec lui. De participer et d’être co-créateur avec lui. De se responsabiliser. De se mettre en route. Je crois que c’est le seul « projet » de Dieu pour l’homme : il n’y en a pas d’autres. « Heureuse faute » ou incomplétude car elle nous met en recherche et en chemin de plénitude d’humanité en nous libérant nos consciences souvent bien éteintes. Elle nous appelle à renaître par le haut, autrement. La « Résurrection » ne serait-ce pas ce « réveil », cette manière de se dresser dans la pleine Vie qui nous est proposée ? Ne sommes-nous pas comme la Création qui « gémit dans les douleurs de l’enfantement, car elle aspire ardemment à voir la révélation des fils de Dieu » ? (Rom 8/19)

Et c’est dès aujourd’hui que nous pouvons commencer à réaliser ce dévoilement, en soi et chez les autres.

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