Qui est mon frère ?

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Tobie rend la vue son père – toile de Claude-Guy Hallé

La liturgie du jeudi 8 juin nous présentait un texte de l’Ancien testament, tiré du livre de Tobie (dans la liturgie catholique, car les Protestants n’ont pas retenu ce livre dans leur bible). L’extrait m’a interpellé. Voila une belle histoire d’amour. Elle se décline entre amis, entre promis et promise, entre mari et femme, entre parents et enfants. Ce ne sont que des extraits, et l’intérêt serait grand de prendre le temps de lire ce court texte en entier. Voici ce qui est monté en moi.

Une lecture superficielle pourrait y voir une belle histoire qui finit bien. A lire de plus près ce texte, des bizarreries surviennent. Je n’en retiendrais qu’une : celle de la fraternité (et de la sororité). Nous retrouvons 5 fois le mot « frère », 3 fois le mot « sœur », 6 fois le mot « fille ». Cette bizarrerie est d’autant plus accentuée que ces mots sont adressés aux uns et aux autres sans tenir compte de la signification réelle du mot. Par exemple, frère pour l’ami ou l’oncle, fille pour l’épouse, sœur pour la fiancée… Toute la structure traditionnelle de la famille ou des relations, avec les rôles spécifiques de chacun, se trouve complètement bousculée.

L’histoire rapportée commence par « L’enfant partit avec l’ange et le chien suivit derrière. Ils marchèrent tous les deux ensemble… ». Peut-être est-ce là une première approche dont il faut tenir compte : il s’agit d’une affaire de compagnonnage. On sait que ce mot peut se traduite ainsi : le compagnon est celui avec on partage le pain. Dans ce texte, il s’agit du pain du jour, celui de la vie, même s’il est fait allusion précisément, à plusieurs reprises de repas, de manger et de boire : comme si c’était le lieu par excellence où peut se dire l’intensité et la densité des relations vraies et profondes. (Dans l’Évangile de Jean, celui –ci commence par un repas à Cana (chap.2) et finit de même : par un déjeuner sur le rivage de Tabgha (chap. 21). Cet « encadrement » du texte pour inaugurer et terminer la vie publique de Jésus dit bien combien ces retrouvailles alimentaires sont moments de communion fraternelle essentielle.

Une marche ensemble, une marche de compagnonnage, une marche entre frères. Quelque soit la situation de chacun. Comment comprendre cette fraternité première dans la paternité, la conjugalité, l’amitié, les épousailles ? Ce qui m’est venu en seconde approche à mes questionnements, c’est ceci : si nous sommes tous des frères et sœurs quelque soit notre positionnement familial, c’est que l’origine de notre fraternité se situe ailleurs que dans une affaire familiale générationnelle. Elle se pose dans une paternité : si nous sommes frères, c’est que nous sommes fils et filles d’un même père. C’est cette filiation première qui fait de nous des frères. Évidence, « portes ouvertes », dont nous sommes pourtant invités à nous rappeler : c’est à partir de ce lieu originaire de la paternité de Dieu que nous pouvons vivre ensuite notre vocation de père, de fils, de fiancé(e), d’époux… Nos liens multiples ne peuvent se dirent que dans la filiation première qui nous unit. A cette lumière de la fraternité, nous pouvons alors vivre nos amitiés, nos sexualités, nos interdépendances multiples : il ne s’agit pas de les ignorer ou de les déprécier, mais de les poser dans plus grand que nous. Elles prendront alors toute leur signification pour être vécu pleinement.

Tobie dira dans sa prière « Aussi, ce n’est pas pour une union illégitime que je prends ma sœur que voici, mais dans la vérité de la Loi. » C’est cette loi que le Christ nous invitera à dépasser pour vivre un véritable amour. Cet amour fraternel deviendra pour Jésus, une amitié : « Désormais, je vous appelle mes amis » dira-t-il à ses disciples, hommes et femmes. C’est je crois ce qui fait l’originalité du christianisme : nous poser en ami de Dieu, tout proche et intime à nous. Si les musulmans s’inclinent, genoux à terre, devant leur Dieu, les juifs se couvrent la tête de leur kippa, le chrétien devise avec lui debout, comme un ami face à son ami. Ils s’envisage avec son Dieu.

Au départ de l’aventure de Tobie c’est un enfant, un garçon, puis un adolescent, qui deviendra ensuite un homme qui lui permettra ce chemin d’humanité. Sur ce chemin il y a un « ange » comme Raphaël, un frère comme Azarias. Mais ne sont-ils pas les mêmes ? Les « anges » nous accompagnent comme des frères pour dire que « Dieu secourt ». Ainsi signifie le nom d’Azarias. Dieu se dit essentiellement dans nos relations humaines.

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