René Pinsard

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Avec René Pinsard. Je devais avoir 23 ans

Une belle figure vient de s’éteindre  ce jour, à l’âge de 95 ans. Belle figure d’une personne qui savait, comme beaucoup, il y a des décennies, suivre les intuitions qui montaient dans leur cœur. Quitte à susciter des incompréhensions et des rejets. Ils allaient leur chemin, le créaient parfois, au pas à pas de ce qu’ils recevaient à l’intime.

Pendant 10 ans j’ai côtoyé René Pinsard au cœur de Pigalle. 

Dans les années 1960, il était venu du Morbihan pour rejoindre la capitale.  A l’époque, il était difficile, à moins de rentrer dans le moule traditionnel d’une Église portée par une tradition et un folklore de toujours, de faire sa place ou plutôt de suivre sa voie, ce pour quoi on est fait, et de sortir des ornières creusées par des siècles de dogmes ou de rites déconnectés du réel. René était prêtre. C’était l’époque de Vatican II et de Mai 68 et un Vent de Nouveauté et de Liberté soufflait sur les Églises et sur la Société. Il sera vite étouffé par des thuriféraires apeurés comme Benoît XVI et Jean Paul II.

René Pinsard, avec quelques amis, créa une petite structure, un bar restaurant nommé « Siloé », sur le boulevard de Clichy, à 20 m de la place Pigalle. Leur objectif ? Assurer une présence d’Église et d’humanité au cœur des détresses et des souffrances liées à la prostitution, à la drogue, aux violences multiples.

Cette présence s’exerçait par le service du bar et du restaurant près de la population du quartier. C’est ainsi que je suis devenu serveur barman à Pigalle en en mettant en place en parallèle, à l’initiative de René, une formation d’éducateur spécialisé en cours d’emploi. 

Siloé est vite devenu un rivage d’écoute, de compassion et d’appel à une vie heureuse et ajustée pour ceux et celles qui, lassés par une vie de misère et de désespérance, venaient y chercher compréhension et réconfort.

Une des images que je retiens de René c’est celle d’un écoutant. Un portraitiste aurait pu le croquer ainsi : pipe à la bouche (on fumait encore a l’époque dans les lieux publics tels les bars restaurants). Il est assis à une table où mangent des habitants ou des travailleurs du quartier. Et il écoute. Tête tendue en avant pour ne pas perdre une miette de ce qui lui est confié. En tension paisible pour comprendre, réconforter, dénouer des nœuds multiples. 

Il m’a appris ce métier qui deviendra celui de toute ma vie professionnelle : être espace pour accueillir toutes les morts qui défigurent et violentent la dignité des hommes. Pour accueillir et ouvrir des portes de libération.

Chaque jour il tenait à célébrer une eucharistie dans un tout petit oratoire au dessus du bistrot. Là, des passants, des gens du quartier, des prostituées venaient participer à ce repas fraternel. Moments intenses d’humanité qui ne s’embarrassaient pas de jugements à-la-va-vite mais se déroulaient dans la simplicité d’un accueil inconditionnel.

Autre image de lui : celle d’un professionnel. Il fera lui-même de multiples formations (éducateur, directeur, séminaires de prévention, sur la drogue, etc.) pour parfaire son engagement. Il appellera ses adjoints à la même exigence de cohérence et de compétence. Il saura s’entourer de bénévoles qui s’investiront dans le projet : comptable, médecin, politique, administrateur ….

Cet homme pétri d’humanité sera écouté des pouvoirs politiques et religieux. Il saura garder sa simplicité sans ostentation et sans se prendre la tête. 

Je lui dois beaucoup. C’est lui qui nous a mariés Yvonne et moi à Vézelay. C’est à Siloé que j’ai rencontré celle qui deviendra ma compagne. Tout comme moi, elle avait postulé comme éducatrice dans ce lieu. 

J’ai raconté dans un livre « Secrètes fraternités » (à paraitre bientôt en réédition aux éditions Golias) cette expérience unique qui nous a pétris et façonnés tous trois, et combien d’autres, à jamais.

C’est cet « à jamais » que tu emportes aujourd’hui René dans la plénitude d’une vie terrestre bien remplie : elle fut la promesse et déjà la réalisation d’une vie d’intense éternité. 

Sans doute est-ce ainsi que naissent véritablement les hommes. Te voilà pleinement Re-né.

Merci pour ce chemin vécu ensemble.

Obsèques

  • à Paris à la chapelle de tous les saints, 279 bd Raspail dans le 14 eme le mercredi 24 mai à 14h30
  • A Guern dans le Morbihan le 26 mai à 14h30 suivie de l’inhumation au cimetière de Guern

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