Suite de notre réflexion (2/3 ) sur la théologie de la libération que nous avions découvert au Brésil en 2015-2016. 5 mn de lecture pour comprendre l’option préférentielle pour les pauvres pour laquelle l’Église catholiaque est invitée à vivre dans la réalité concréte des personnes et des peuples aujourd’hui.
Leonardo Boff, résumera la théologie de la libération en ces termes : Elle « cherche à articuler une lecture de la réalité à partir des pauvres et en vue de la libération des pauvres ; elle utilise en fonction de cela les sciences de l’homme et de la société, elle médite théologiquement et postule des actions pastorales qui facilitent la marche des opprimés. »
Il rassemble ainsi les principaux éléments de cette théologie : elle se fait à partir des pauvres et elle utilise les sciences humaines, toujours dans l’objectif de libérer les personnes de l’oppression économique et politique.
Concrètement, faire de la théologie de la libération nécessite un engagement et un lien personnel avec les déshérités. Porter la parole de Jésus le « prochain par excellence » suppose de s’en approcher soi-même. Le théologien de la libération brésilien, Clodovis Boff, explique qu’ « il y a une condition préalable : que le théologien soit en liaison organique avec le peuple, avec son histoire ecclésiale et sociale. Sans un minimum d’engagement vivant et concret avec la réalité vécue par le peuple et avec ses luttes, le théologien ne peut articuler dans son discours ni prophétie, ni utopie, ni sentiment ».
Être avec les pauvres permet d’assimiler leur point de vue sur le réel et ainsi de comprendre les rapports de domination. Nous sommes loin d’une théologie de chambre !
La démarche est noble, altruiste, œcuménique, rejoignant le cœur du message évangélique en s’appuyant sur les libérations du peuple hébreu dans l’ancien testament et sur la libération ultime qu’apporte le Christ par sa mort et sa Résurrection. Le sort du peuple juif comme de celui du Christ a de grandes similitudes avec celui des peuples du tiers monde : dominés, chassés, mis à mort …
Pourtant cette théologie a rencontré de vives oppositions dans les milieux conservateurs et au sein même de l’Église, à tous les échelons, (Oppositions toujours d’actualité, même à Plouay, où circulent, régulièrement sous le manteau, des pamphlets vis-à-vis du CCFD-terre solidaire qui soutient cette démarche. Voir notre réponse à ces détracteurs ici )
En même temps, il faut se garder de tomber dans un manichéisme facile. Pour Malik Tahar Chaouch, il faut se départir d’une vision trop empreinte par l’idéologie : Ayons conscience que la théologie de la libération est un « champ social », où se mêlent luttes de pouvoirs et intérêts particuliers des divers acteurs. Il est donc nécessaire de sortir d’une interprétation binaire du phénomène, opposant catholicisme romain dominateur et catholicisme des pauvres, dominé.
On a beaucoup évoqué en parlant de la théologie de la libération de « perversion de la chrétienté » et de « théologie des rues », d’ « Eglise marxiste » !
Elle a été également accusée de dérive idéologique, d’une forte connotation marxiste dans le discours, et du recours à la lutte des classes comme grille de lecture des conflits sociopolitiques. Le fait que beaucoup de membres du clergé se soit impliqué dans les luttes politiques (allant jusqu’à prendre les armes dans certains pays) a accru la méfiance des pouvoirs en place et du Vatican qui craignait ces dérives « communistes ».
Et puis, n’etait-ce pas bousculer les milieux conservateurs plus habitués à « aider les pauvres » à travers une démarche paternaliste, mais moins enclins à leur permettre de devenir sujets de leur propre destinée ? N’était-ce pas remettre en cause une certaine forme du pouvoir et de l’ordre établi (de droit prétendument divin ?) ?
Pour certains, des facteurs politiques et géopolitiques ont également influencé cette perception négative de la théologie de la libération, et notamment le document préparé en 1980 par le « Comité de Santa Fé », exhortant Ronald Reagan « à agir vigoureusement contre la “théologie de la libération”, coupable d’avoir transformé l’Église catholique en “arme politique contre la propriété privée et le système de production capitaliste” ».
La brouille sera consommée entre le Vatican et la théologie de la libération avec le pontificat de Jean-Paul II qui avait notamment affirmé, en 1979, qu’une « conception du Christ comme homme politique, révolutionnaire, comme le subversif de Nazareth, ne correspondait pas à la catéchèse de l’Église ».
C’est avec le pape est venu “du bout du monde”, qui tout en n’ayant jamais été clément avec les idéologies, ni avec la démarche intellectuelle d’une certaine théologie philomarxiste, mais qui parle maintenant d’une “Église pauvre et pour les pauvres”, que la réconciliation entre le Vatican et théologie de la libération s’opérera .
Manière de dénoncer que « l’injustice subie par le faible ne signifie pas être marxiste, mais seulement et simplement être chrétien », écrira l’Osservatore Romano. Ne serait-ce pas un pas vers une réhabilitation de ce courant ?
à suivre volet 3
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