Une nouvelle réforme des retraites est-elle nécessaire ?

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Je reproduis ici un interview de Mikael Zemmour (à ne pas confondre avec le politicien d’extrême droite ) paru dans la revue « Etudes » de février 2023. Monsieur Zemmour est maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et codirecteur de l’axe « Politiques socio-fiscales » du LIEPP. Ses recherches portent sur l’économie politique du financement de l’État social. Ses propos sont recueillis par Nathalie SARTHOU-LAJUS.
L’article est introduit ainsi :

Comme en 2010, le projet de réforme des retraites annoncé pour l’année 2023 prévoit un report de l’âge d’ouverture des droits et un allongement de la durée de cotisation. Il s’agirait de travailler plus pour « sauver nos pensions ». Dans quelle mesure le système de retraite actuel est-il réellement en danger ? Entre-t-on dans un nouvel âge de la réforme des retraites, visant la réduction de leur durée et du niveau moyen des pensions ? Les images ne sont ps de la revue Etudes mais miennes pour faciliter la lecture

Le système des retraites par répartition, qui est un des piliers de la solidarité en France, est-il encore suffisamment robuste ou traverse-t-il une période compliquée ?

Michaël Zemmour  : D’un point de vue financier, le système est extrêmement robuste. C’est le diagnostic qui est fait chaque année par le Conseil d’orientation des retraites (COR) et c’est le diagnostic qu’on peut faire en le comparant à ce qui se fait dans les autres pays. Ce système est financé essentiellement par des cotisations sur l’ensemble de la masse salariale et, en absence de toute réforme, les projections dans l’avenir prévoient un très léger déficit dans les quinze années à venir, mais pas de danger financier. Quand on compare avec les pays étrangers qui ont fait plus de place à d’autres systèmes, et notamment au système par capitalisation (Irlande, Suède, etc.), on se rend compte que ce sont des pays qui, depuis la crise de 2008, ont connu beaucoup de soubresauts, avec des systèmes de retraite mis en danger financièrement et des effets très concrets pour les retraités qui se traduisent par des baisses du niveau des pensions. En France, notre système de retraite n’est donc pas en danger, en raison des réformes précédentes qui ont cependant deux conséquences principales pour l’avenir. La première : une stagnation voire un raccourcissement de la durée moyenne de la retraite, l’âge légal de la retraite ayant été reporté à 62 ans. La deuxième : une baisse relative du niveau de vie des retraités qui est programmée. /…/

On a en effet observé, lors de la campagne présidentielle, une focalisation sur cet âge légal de la retraite. Mais est-ce qu’on n’a pas d’autres choix que celui-là, c’est-à-dire de travailler plus et de partir plus tard ?

M. Zemmour  : Quand on se focalise sur l’âge légal de la retraite, on rate en effet des aspects importants du système de retraite, par exemple l’inégalité entre femmes et hommes, la question des petites pensions ou bien celle des gens qui ont une carrière partagée entre public et privé. En même temps, le fait que la campagne présidentielle se soit focalisée sur cette question de l’âge n’est pas simplement du fétichisme ou du symbolisme, car elle surdétermine tout le reste. D’abord, financièrement : il y a de gros enjeux financiers si l’on passe la retraite à 65 ans, des économies substantielles peuvent être réalisées à court terme, de l’ordre de quelques quinzaines de milliards. Et puis la conception même qu’on a de la retraite change avec l’âge. En 1945, l’âge légal de départ à la retraite était déjà 65 ans, mais la majorité des personnes n’atteignait pas la retraite et la durée moyenne de la retraite était très courte. En 1983, on a mis en place la retraite à 60 ans et la durée moyenne de la retraite est passée à vingt-cinq ans, mais pas pour tout le monde. Aujourd’hui, décaler l’âge de la retraite, cela signifierait que, tant qu’on est encore bon pour travailler, il faut rester au travail et donc la retraite deviendrait de nouveau le moment où l’on est trop usé pour faire autre chose. Au contraire, ne faut-il pas tenir compte du gain d’espérance de vie, comme un gain de temps libéré ? L’âge de départ à la retraite est donc un enjeu très important. Décaler cet âge de départ aura également des effets, en particulier sur certaines professions (ouvriers, employés, etc.). Est-ce qu’on a d’autre choix que de travailler plus ? Il y a une réalité qui est le changement démographique, c’est-à-dire qu’il y a davantage de seniors, à la fois parce qu’il y a des générations nombreuses et parce que celles-ci vivent plus longtemps. La part des retraités dans la population augmente, il faut en tenir compte. Mais il y a de multiples manières d’en tenir compte. D’abord, on pourrait ajuster les ressources du système des retraites, en augmentant les cotisations. On pourrait faire évoluer le niveau des pensions. On entend souvent l’argument selon lequel il est normal de travailler plus longtemps puisqu’on vit plus longtemps ; or les gains d’espérance de vie ont déjà été payés par les réformes précédentes. Autrement dit, quelqu’un qui part aujourd’hui à la retraite, malgré les gains d’espérance de vie, va avoir un an de retraite en moins que quelqu’un qui est parti dix ans plus tôt. Ce n’est donc pas un faux débat. /…/

L’argument du gain d’espérance de vie et celui rappelant que les gens ont encore suffisamment d’énergie pour travailler plus longtemps achoppent sur l’inégale répartition de ce gain : entre femmes et hommes, entre professions. Comment tenir compte de ces disparités ?

M. Zemmour  : Il y a effectivement de gros écarts d’espérance de vie, des écarts liés au genre (les hommes vivent moins longtemps que les femmes), des écarts liés à la classe sociale et des écarts liés à l’exposition professionnelle, à la pénibilité. Un tiers des hommes d’une cinquantaine d’années courrent le risque d’avoir une retraite de moins de dix ans et 15 % ont le risque de ne pas avoir de retraite du tout. Il y a donc une population très importante pour laquelle la retraite est relativement courte et pour laquelle le décalage de deux à trois ans représente proportionnellement une part très élevée de la retraite. À l’inverse, pour un profil comme celui d’une femme cadre en bonne santé et proche de la retraite, on prédit une retraite de plus de vingt-cinq ans. Dans ce cas-là, la discussion à propos du décalage de l’âge de la retraite porte moins sur le raccourcissement de la retraite que sur l’activité que l’on choisit socialement, passé 60, 62 ou 65 ans. Les réformes visent d’abord à faire des économies et elles ne tiennent pas compte réellement des écarts d’espérance de vie.

Vous affirmez que ce sont principalement les préoccupations d’économie budgétaire qui motivent cette réforme des retraites. Y a-t-il vraiment une urgence de la réforme ?

M. Zemmour  : De temps en temps, on met en scène un déficit du système des retraites qu’il faudrait absolument sauver par une réforme rapide. Cet argument ne tient pas beaucoup et il est assez vite écarté par les personnes qui connaissent le dossier. En fait, les principales motivations du gouvernement pour la réforme des retraites reposent plutôt sur une stratégie globale de politique économique. Première motivation : augmenter l’emploi. Travailler plus pour produire plus. Si on décale l’âge de la retraite, il y a effectivement des personnes qui resteront en emploi plus longtemps. Augmenter l’emploi pour répondre à la crainte d’une pénurie de main-d’œuvre et d’une hausse des salaires. Deuxième motivation : faire des économies, pas tellement pour équilibrer le système des retraites (qui ne se porte pas trop mal), mais dans une perspective de politique économique de baisse des prélèvements obligatoires d’un côté et de baisse des dépenses publiques de l’autre. Ce sont les deux principales motivations du gouvernement, une sorte de volonté réformatrice libérale de l’économie française : augmenter l’emploi et diminuer les dépenses publiques. C’est ce type de diagnostic qui est porté, plutôt qu’une véritable réflexion sur le système des retraites ou sur le monde du travail. /…/

lire l’article dans son intégralité dans la revue Etudes

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