Chrétiens et Gilets jaunes 2

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2) La vie du Christ comme appel à refuser toute compromission

Jésus chasse les vendeurs du Temple

Après la sortie d’Egypte, je voudrais aujourd’hui aborder la vie du Christ comme appel à refuser toute compromission. Pour situer mon propos lire l’intro de mon premier post :

C’est déjà difficile d’accepter, pour certains chrétiens, que le Christ soit mort du fait des autorités religieuses en place. Du fait de leur collusion avec le pouvoir politique de l’époque. Encore plus difficile pour eux d’accepter son refus de toute religion qui enferme, dénature toute relation avec la transcendance qu’il appellera « Père ».  Et vraiment, vraiment difficile, qu’il mette au rebut règles, lois commandements, dogmes si ceux-ci ne sont pas vécus dans l’ordre de l’amour fraternel.

Il reprend à son compte ce qui pressentaient les prophètes de l’ancien temps en disant « C’est l’amour que je veux, et non les sacrifices. »
Matthieu illustrera le concret de cette invitation par cette parabole :
“… J’avais faim, et vous m’avez donné à manger; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli; j’étais nu, et vous m’avez habillé; j’étais malade, et vous m’avez visité; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi!”et fera dire au Christ « je vous le dis, chaque fois que vous ne l’avez pas fait à l’un de ces petits, à moi non plus vous ne l’avez pas fait.”
C’est concret, c’est la religion du frère, en particulier de celui qui est dans l’inhumanité profonde.

Un autre évangéliste, Marc, nous montre que le Christ ne fait qu’un de l’amour de Dieu et de l’amour des hommes; qu’on ne peut dire aimer Dieu sans aimer les hommes :
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force. Et voici le second : ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même.’ Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là. « 

« Le Samedi soir on lui offrit donc là un repas…  Alors Marie prit une livre d’huile parfumée très coûteuse, un nard authentique. Elle la versa sur les pieds de Jésus et lui essuya les pieds avec ses cheveux. La maison se remplit de l’odeur de l’huile parfumée… »

Ces paroles du Christ qui nous décentrent de nous-mêmes pour vivre l’amour fraternel sont exigeantes… voire dérangeantes. Plus simple de donner une pièce de monnaie au clochard à la sortie de l’église ou du temple le dimanche que de prendre en compte les causes profondes de sa misère et surtout de prendre les moyens pour qu’elle n’existe plus.
C’est un archevêque brésilien, sous la dictature militaire, Helder Camara, qui disait en plaisantant (mais plaisantait-il vraiment ? Un moyen pour faire passer des vérités dures à entendre …?) « Si je fais l’aumône à un pauvre, on dit que je suis saint, si je demande pourquoi il est pauvre, on me traite de communiste ».
Pas très religieux comme remarque ! Son successeur s’emploiera à détruire tout ce qu’il avait mis en place pour être au plus près des pauvres et revenir à des « normes » chrétiennes plus tranquilles et moins dérangeantes.
Il dira aussi « Les religions doivent dialoguer et marcher ensemble pour être la conscience éthique de l’humanité et le cri pacifique des pauvres ».
Un vrai prophète dans la lignée du Christ qui appelle à sortir de la charité pour vivre la solidarité, la justice, la fraternité.

Le Christ dans sa vie publique a toujours mis en avant son souci des pauvres, des humiliés, des rejetés, des blessés de la vie. Toujours il a répondu aux appels des méprisés pour les réinsérer dans le tissu social de l’époque fait de légalismes de préjugés, de castes. Il a prôné un être-ensemble dans un monde où il était inconcevable d’accueillir le différent, le lépreux, la prostituée…. au nom de la religion, au nom de Dieu…. on sait que mal lui en a pris et que ça l’a conduit à la mort. Mais ce n’est pas tant ce désir de réajuster l’ordre religieux établi qui l’y a conduit. Il a voulu inscrire toute homme, toute femme dans sa dignité non seulement humaine mais dans celle, plus précieuse de fils et fille du Père. Là, pour lui, était la suprême dignité : dans cette filiation, non de dépendance, mais vécue comme une réponse amoureuse à un appel pour devenir plus grand que soi. Irénée dira que « Dieu s’est fait homme pour que l’homme se fasse Dieu ». Quel appel !
L’évangéliste Jean le résumera à sa façon en faisant dire au Christ l’enjeu de toute humanité à la fois collective et personnelle : « Qu’ils soient un en nous…  Qu’ils soient un comme nous sommes un : moi en eux, et toi en moi… Je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi… »
L’enjeu ne serait-il pas là ? C’est celui de l’unité. Une unité avec soi-même, avec les autres, avec Plus grand que nous. Une unité dans la diversité et le respect des différences, sans chercher à niveler en fonction des intérêts de quelques uns. 
Dans notre société divisée qui sème la haine, la division, le mépris ? Sont-ce vraiment ceux qui sont désignés comme bouc émissaire (figure éminemment biblique !) par la vindicte médiatique ou populaire, sans recul ni discernement ou par intérêt et perfidie  des nantis ?

Non violence

Le gros problème aujourd’hui qui s’affiche c’est celui de la division, très binaire dans notre pays. Il semble bien entretenu par les médias et le pouvoir politique en place. Jamais, je crois, n’a été aussi clairement affiché, surtout dans les réseaux sociaux le rôle des opprimés et celui des oppresseurs. Chaque camp est enfermé dans un rôle. On les monte l’un contre l’autre, en obligeant à prendre parti. Comment en sortir de cette escalade et recoudre une tunique sans couture ? Quel rôle un chrétien peut-il jouer (si c’est encore un jeu !) pour faire accepter les différences, ouvrir à ces différences, faire la vérité, refuser toute manipulation au-delà des bonnes intentions, des prières et des récitations de chapelet  ? C’est-à-dire en s’engageant concrètement pour écouter, comprendre faire le lien ? et refuser la violence ?

Car parler du Christ aujourd’hui en cette période c’est dire aussi sa non-violence. Il a eu des colères légitimes. Mais toujours dans la prise sur lui-même de faire accéder les autres, à une grandeur qui ne peut passer que par la maîtrise de soi, le don de soi, et non par le libre cours d’une insupportabilité, d’une déception, ou d’une tristesse. Toujours avec respect, détermination, accueil inconditionnel, avec un regard qui voit loin la beauté des hommes, défigurés et qui peuvent (et veulent) être restaurés dans leur beauté.
Cette non-violence, je la retrouve à sa mesure chez les Gilets jaunes. N’en déplaisent à ceux qui ne regardent que les médias mainstreams qui savent mettre en avant avec art (mais ils ont les moyens ces 9 propriétaires de médias, de connivence avec le pouvoir financier et politique, qui détiennent plus de 90 % de la presse française) des vidéos ou des reportages dénonçant en faux violences, homophobies, racisme de la part des manifestants et les chargeant de tous les maux.

Policier au marteau

Ont-ils été voir, ces bien-pensants, combien la manipulation est de mise ? Que la police utilise les manifestants ou s’habillent de leur symbole pour mettre sur leur dos les dégradations qu’ils exercent eux-mêmes ? Que les fachos d’extrême droite s’infiltrent dans les rangs de ces pacifiques pour dénaturer leur combat ?
Que la lutte des opprimés se veut respectueuse malgré les excès policiers et leurs violences pour attiser la colère de ceux qui sont injustement frappés, violentés ? Non seulement par des armes de guerre mais aussi par les propos de régnants moqueurs et méprisants ?

A la violence des nantis tente de répondre le pacifisme exigeant des laissés pour compte.
Pas facile que cette route de crête où il faut toujours prendre sur soi malgré les provocations, les blessures, les morts… Ils rejoignent pour moi les marches de Martin Luther King, de Gandhi, celles des femmes du Kerala en Inde, des paysans sans terre au Brésil  … toutes pacifiques et non violentes et , ô combien fructueuses !

Sans faire de récupération facile et ce n’est pas mon propos, il y a je crois en toute humanité ces semences de bonté, de fraternité, d’amour universel que possédait le Christ et qu’il a su mettre en avant dans un jusqu’au bout de l’amour.
Saurons-nous voir, chrétiens, ce royaume de justice et de paix qu’appelait le Christ, dans ce mouvement aujourd’hui , dans ces hommes et ces femmes qui se dressent, se réveillent et, disons-le, ressuscitent de leur vie de mort et de détresse ?

A sa mort, un homme de guerre, dira, face au Supplicié sur la croix : « Celui-ci est le fils de Dieu ». Oserons-nous dire aujourd’hui face à ces blessés de la vie : « ceux-ci ne sont-ils pas fils de Dieu ?  Ne sont-ils pas des enfants bien-aimés ceux qui luttent fraternellement pour qu’advienne le monde nouveau, le monde de Dieu ?  »

Non seulement les Gilets jaunes retrouvent une identité, ils existent enfin, même s’ils sont encore stigmatisés et catalogués indistinctement et avec mépris par « les autres » ; mais surtout ils peuvent se dire, par eux-mêmes, qui ils sont, en partageant avec d’autre leur vie, leurs galères et leurs espoirs. Ils passent d’une identité que d’autres leur attribuent avec condescendance à un être-eux-mêmes où, par eux-mêmes  ils se définissent dans leur singularité, leur originalité. Ils accèdent à leur statut personnel en vérité. Et eux seuls peuvent dire qui ils sont ! La Parole, leurs propres paroles les ont libéré de leurs enfermements. Ils peuvent dire « Je suis… » sans se laisser circonscrire par d’autres.
Ils nous montrent que c’est la fraternité qui fait de nous un Corps. Que des frères nous sont donnés pour sortir ensemble des lieux de mort, d’enfermement et de dévoration.

Alors ne généralisons pas et entendons, au delà des cas particuliers mis en avant pour délégitimer leurs actions, les aspirations de l’immense foule anonyme qui marche et s’avance pour se libérer de toutes les oppressions.
Mieux, si nous essayions de mettre un visage sur l’un d’eux, un seul, pour entrer en dialogue avec lui ?

voir les autres articles :
-1)  https://kestenig.fr/chretiens-et-gilets-jaunes/
– théologie de la libération: https://kestenig.fr/chretiens-et-gilets-jaunes-3/
– doctrine sociale de l’Eglise : https://kestenig.fr/4-chretiens-et-gilets-jeunes/
– mistica : https://kestenig.fr/mistica-des-sans-terre-et-gilets-jaunes/

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