Doctrine sociale de l’Eglise

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Dernièrement, sur Facebook, un commentateur d’un article sur Facebook écrivait « Who else? Mais par contre, je vous en conjure, arrêtez les conneries avec cette raclure de pape et son encyclique de mes deux ! »
Je lui avais répondu :
« Moi aussi, je t’en conjure, ce n’est pas avec ce type de jugement à l’emporte pièce définitif et binaire qu’on va avancer. Ca frise le mépris. Je t’invite à au moins lire le premier chapitre de cette encyclique pour revoir ton appréciation … J’ai connu un temps où des sections communistes lisaient et travaillaient la doctrine sociale de l’église pour ancrer leur action.

L’heure n’est pas à cette violence verbale que tu assènes mais à l’unité de toutes les bonnes volontés de par le monde, par des idées politiques, religieuses ou humanistes différentes . A moins de posséder la vérité et « tuer » ou envoyer au goulag ceux qui ne pensent pas comme toi. C’est vraiment dommage d’exclure et de dégoûter des personnes alors qu’il faudrait rassembler. Est ce trop demander de respecter ces gens là ? Alors bonne lecture de ce premier chapitre ! … et les suivant s’ils te plaisent ! Il y a des idées à foison pour comprendre ce qui se passe actuellement à partir d’une autre grille de lecture que la tienne.« 

Ce qui me frappe dans cette interpellation c’est l’aspect outrancier de quelqu’un qui manifestement n’a pas lu cette encyclique et surtout son appréciation définitive que, dans les Eglises, dans les religions, il n’y aurait que des pourris, des « raclures ».
Je pense qu’il doit y avoir derrière ces jugements de vieux comptes à régler, sans doute suite à des attitudes ou des paroles qui ont blessé cet homme ou son entourage. Je peux comprendre … et admettre que certains croyants ou responsables religieux n’ont pas fait dans la dentelle ces dernières décennies, ou siècles ! Il y a des violences physiques, psychologiques qui sont difficiles à cautionner.

Pour autant peut-il mettre tous les croyants, quelque soit leur religion, dans le même sac ?
Il y a un lourd héritage anticlérical ou antireligieux dans notre pays et il suffit, comme on dit, de « mettre une pièce pour que ça démarre au quart de tour » avec comme conséquences pour les croyants des réactions de repli, de communautarisme et de retrait ou de fuite de la vie sociale et politique.
En ce qui concerne les religions chrétiennes, il y a toute une tradition qui prend sa source dans les Evangiles et pour peu que les préceptes d’altruisme, de solidarité (de charité disait-on à une certaines époque) ont été appliqués, ils avaient pu offrir à la société des actes et des institutions pour venir en aide aux plus défavorisés : écoles, hôpitaux, associations ou sociétés d’aide, etc… Cela se faisait naturellement dans la droite ligne des enseignements du Christ. Pour moi aujourd’hui, un des lieux emblématiques est la Cimade, cet organisme protestant qui, depuis plus de 70 ans, vient en aide aux réfugiés et aux migrants.

En ce qui concerne le monde catholique, c’est surtout avec la révolution industrielle qu’ont été mis par écrit des « encycliques » portant sur la doctrine sociale de l’Eglise qui ont été compilées dans un Compendium. L’église catho invite à un engagement social concret à ses fidèles à travers différents « thèmes » qui ont donné lieu à des encycliques. Les sujets sociaux sont multiples comme par exemple l’option préférentielle pour les pauvres, le bien commun, la dignité de la personne humaine, la solidarité, la justice sociale, la destinations universelle des biens, les droits de l’homme, le travail, la paix, le bien commun … Ces sujets deviendront 9 principes, véritables critères d’orientation et de discernement de l’agir social chrétien et liés à la dignité humaine.

Le premier document significatif (Rerum novarum) date de 1891 . Il est écrit par le pape Léon XIII . Il constitue le texte inaugural de la doctrine sociale de l’Eglise catholique. S’inspirant des réflexions et de l’action des « chrétiens sociaux », l’encyclique, écrite face à la montée de la question sociale, condamne « la misère et la pauvreté qui pèsent injustement sur la majeure partie de la classe ouvrière» tout autant que le « socialisme athée ». Elle dénonce également les excès du capitalisme et encourage de ce fait le syndicalisme chrétien et le catholicisme social « 
Le pape condamne la cupidité de la bourgeoisie, la concentration des richesses entre les mains « d’un petit nombre d’hommes opulents et de ploutocrates « .. Il dénonce plus précisément le travail des enfants et les horaires excessifs. Il condamne les patrons qui versent des salaires insuffisants et affirme le droit des ouvriers à se syndiquer.

Une dizaine d’ autres encycliques sociales vont suivre. citons les plus importantes : Pacem in terris de Jean XXIII (Sur la Paix entre toutes les Nations, fondée sur la Vérité, la Justice, la Charité, la Liberté… et contre la bombe nucléaire), Popularum progressio en 1967 (« Le développement des peuples, tout particulièrement de ceux qui s’efforcent d’échapper à la faim, à la misère, aux maladies endémiques, à l’ignorance ; qui cherchent une participation plus large aux fruits de la civilisation, une mise en valeur plus active de leurs qualités humaines ; qui s’orientent avec décision vers leur plein épanouissement, est considéré avec attention par l’Église »), Mater et magistra (Sur l’évolution contemporaine de la vie sociale), Centesimus annus (mise à jour à l’occasion du centenaire de Rerum novarum), en 1991), Laudato si en 2015 ( » sur la sauvegarde de la maison commune »). Elle est consacrée aux questions environnementales et sociales, à l’écologie intégrale et de façon générale à la sauvegarde de la Planète. Dans cette encyclique, le pape critique le consumérisme et le développement irresponsable tout en dénonçant la dégradation environnementale et le réchauffement climatique. Le texte s’appuie sur une vision systémique du monde et appelle le lecteur à repenser les interactions entre l’être humain, la société et l’environnement), Fratelli tutti en 2020 (sur la « capacité de fraternité » et l’« esprit de communion humaine » nécessaires à la construction d’« une société plus juste »)

A ces textes on pourrait ajouter les documents de Vatican II, des mouvements d’émancipation des femmes et des défavorisés, des théologie émancipatrices comme la théologie de la libération …

Pourquoi alors ces difficultés ou ces incapacités à accueillir ces textes qui visent essentiellement la dignité des hommes et des femmes, et qui n’ont rien à envier aux textes perçus comme plus révolutionnaires ? les croyants eux-mêmes ignorent leur existence et leur lecture.

Ces textes se sont affinés au cours des décennies pour entrer dans le concret des situations humaines et mettre la personne en tête des préoccupations de l’Eglise catholique, par delà les dogmes ou les vérités « intangibles ».
L’Eglise s’incarne… et ne peut plus faire autrement que de faire la politique.  Dans Fratelli tutti, l’humanité ne constitue qu’une seule famille : la famille humaine . Les chrétiens sont invités à se coltiner l’intégration de tous et notamment des pauvres, des opprimés, des migrants dans cette famille. Il en va de sa survie (celle de l’humanité). Evidemment, cette approche dérange…

Je crois que Pape François aime déranger dans l’urgence des temps présents. Déranger pour dialoguer, accepter la confrontation, ouvrir des espace de discussion. Aujourd’hui la tendance est de se claquemurer dans ses certitudes et ses sécurités… Les Eglises peuvent jouer un immense rôle dans les nécessaires réflexions et ajustements, remise en cause, auxquels les hommes sont appelés… qu’ils le veuillent ou non.
Affaire de « bonne volonté » comme le suggère les propositions de la majorité de ces encycliques. La bonne volonté, la volonté de vouloir le bien le beau, le bon, concerne tout un chacun, croyant ou non…
Et c’est bien que les Eglises n’assènent plus mais invitent à l’unité dans la différence, le respect mutuel et le dialogue.

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