Et si je meurs ?

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On dit que les premières civilisations sont nées à partir de la capacité des hommes préhistoriques à mettre en place des rites funéraires pour accompagner les défunts dans leur passage au-delà de la mort.
Sans doute que, bien avant, l’humain s’interrogeait sur les cycles de la vie et de la mort. Sa réflexion et sa manière de s’occuper des défunts ont participé à l’émergence d’une conscience qui a fait de lui un homme et non plus un animal. Cette capacité de penser, cette « spiritualisation » de l’homme, s’est développée au cours des siècles jusqu’à nous aujourd’hui, à travers le temps, les modes de vie et de vivre ensemble, les coutumes, les religions, les spiritualités …
L’épidémie du Covid 19 vient bousculer cet héritage séculaire et universel qui a fait de nous des êtres de chair et d’esprit.

Des obsèques vite expédiées

Qui n’a pas vu, sur les réseaux sociaux ou à la télévision, les enterrements des victimes de la pandémie en la seule présence d’un ou deux « témoins » et d’un officiant religieux ? Parfois même en la seule disponibilité du clerc et de celle du représentant des pompes funèbres.
Terrible d’en arriver là et de priver les proches d’un accompagnement humain, affectif et spirituel  dans ces moments décisifs.
Deux questions surgissent pour moi :
– Comment, malgré tout, permettre aux proches de vivre ce départ dans la dignité et une présence aimante ?
– Que sont ces gouvernements qui se permettent de décider l’interdiction d’honorer et d’accompagner nos morts ? A quel titre ? Par quelle autorité ?

Comment réagir face à un décès ?

La réponse à la première question dépend de l’état de pandémie dans laquelle nous nous trouvons. Je me surprends à réfléchir sur ma situation et celle de mes proches. (tout comme vous sans doute ?) Et si ça m’arrivait ? Faut-il préparer dès maintenant mes obsèques ?  Seront-elles « expédiées » à la va-vite et dans la solitude ?
En ces temps de malheurs, mais aussi de richesses médiatiques il me semble important de partager et de communier, même à distance, par les réseaux sociaux, dans le temps, le moment où le défunt sera inhumé ou passé dans la chambre de crémation.  
A titre d’exemple, avec un fils à 900 kms, une fille à l’ile de La Réunion et un fils au Brésil, si un membre de mon couple décède, inutile de leur demander d’entourer leur père ou leur mère : administrativement, ils ne le pourraient pas. D’où l’importance de vivre la compassion et l’unité familiale à travers des réseaux sociaux interposés. Cela pourrait se faire à travers la méditation d’un texte commun partagé à l’avance avec eux, à l’heure du départ définitif, dans un lieu propice pour eux (nature, chambre, église ou temple, solitude…); propice à une intériorisation personnelle qui mettrait chacun en lien par delà l’espace avec celui ou celle qui reste.

Ne pas laisser le proche seul

L’important, je crois, c’est que la personne accompagnatrice du défunt à sa dernière demeure « sente » et sache cette communion et ne se trouve pas seule mais habitée par la famille, les amis, les proches, d’une manière intense et fraternelle.
Si une ou deux personnes peuvent l’accompagner, pourquoi ne serait-elle pas « déléguée » pour filmer et transmettre la cérémonie à ceux et celles qui sont loin ? Autre manière visuelle de dire une proximité et une présence aimante ou amicale dans l’épreuve de la douleur et de la perte …
Cela suppose une « préparation » pas si évidente que ça car elle nous met face à la mort possible, notre mort, mais permet aussi de « transmettre » pour un dernier adieu ce qui constitue le fondement de notre vie, de notre foi, de notre humanité à travers le choix d’un rite, d’un texte, d’un souvenir à se rappeler….
Une fois l’épidémie passée et l’autorisation de circuler donnée, pour quoi ne pas prévoir ou organiser alors une cérémonie pour dire adieu ensemble sur la tombe ou lors de la dispersion des cendres ou en plantant un arbre, ou lors d’un bon repas au moment de la fêtes des défunts début novembre ?

Quel est la singularité de l’homme ?

Chacun pourra aussi réfléchir dans cette épreuve sur les conséquences d’une mort biologique. Est-elle le tout de l’Homme ? Finitude ultime ou passage vers une Vie autre ? Cette mort inévitablement nous met en face d’interrogations sur le sens de la vie, celle d’une vie après, celle de l’existence d’une Transcendance…. Toutes ces questions qui ont fait émerger l’humanité de son animalité à ses débuts.
Il est bon et salutaire de se rappeler aujourd’hui quel est notre essentiel, qu’est-ce qui est important, pour continuer à vivre d’une Vie qui transcende nos habitudes, nos pensées toutes faites, notre petit moi-je et nous poser les vraies questions : Vivre pourquoi ? Vivre de quelle solidarité ? Pour quelle humanisation du monde ?

Des enjeux anthropologiques

* La seconde question est plus délicate. Pourquoi les gouvernants ne proposent-ils pas une alternative à cette interdiction et, corollairement, pourquoi les citoyens avalent cette décision apparemment sans discuter ? Perçoit-on les enjeux anthropologiques de ces questionnements ?
Nous sommes avec les obsèques dans les fondements mêmes de notre humanité dans ce qui fait sa vérité, sa beauté, sa grandeur; de ce qui fait la valeur infinie d’une personne et la spiritualisation du Monde …
Tout passe à la trappe. Comme si ce n’était pas important, comme si la mort (donc la vie) était insignifiante. Mais le défunt porte quand même, outre le signe d’un vécu ensemble, avec ses joies, ses fous rires, ses peines, ses relations partagées depuis des décennies, il porte aussi la dimension de l’esprit qui fait la dignité et la singularité des humains …
Non seulement tout cela va mourir mais le symbolisme même de qui nous sommes va disparaître ?
C’est faire piètre cas de nos humanités et de nos citoyennetés que de laisser seuls les hommes parfois agonisant sans main amie pour les accompagner et les enterrer seul… « comme un chien » aurait dit ma mère…
…Et pour ceux et celles qui restent, comment entrer dans un processus de deuil ?

Bonjour tristesse et culpabilité !

La peur aurait-elle le dernier mot ? Non, car il est des hommes et des femmes qui « savent » offrir des paroles de réconfort, d’espérance, d’ouverture… On ne peut que les remercier du fond du cœur.
Ah ! On peut faire de beaux discours sur le personnel soignant sans lui donner les moyens de vivre sa vocation de panseur, pour apaiser, vivre compassion et fraternité… On peut oublier aussi les travailleurs de l’ombre, ceux d’après la mort, qui résistent et apportent cette note d’humanité indispensable à la bonne marche de nos vies jusqu’à la mort.
Le député de la France insoumise, J.L. Mélenchon, apportait récemment son interrogation (je ne suis plus en quels termes exacts)  :  « Je ne crois pas que j’obéirai si on m’interdisait d’assister à l’enterrement d’un de mes proches ».
Qui de nous ne s’est pas posé cette question ?

Réveillons-nous

Nous avons gobé tout crue l’injonction des puissants sans nous interroger. Alors que ça méritait débat, réflexion, concertation, écoute…
Parce qu’on pourrait faire ses courses, se promener une heure, aller à l’école bientôt, se déplacer pour un motif ou un autre, mais on ne pourrait pas enterrer ses morts ?
C’est quoi cette main-mise des gouvernants sur ce qui nous appartient en propre ?
Pourquoi nous remettons-nous pieds et poings liés à des décideurs qui brillent par leur incompétence, leur surdité, leur égoïsme, leur mensonge ?
Pourquoi un tel aveuglement, une vue à si court terme ? Comme si ça faisait partie de la normalité d’agir ainsi…
L’ampleur de la catastrophe nous infantilise-t-elle ?
Reprenons-nous ! En ces fêtes pascales, il nous faut nous « réveiller » et nous « dresser » (2 traductions possibles du mot « ressusciter ») pour ne pas accepter que d’autres nous mènent sans sourciller à la mort sans penser ni réagir. L’instinct grégaire des premiers jours de l’homme pour se protéger ne semble pas mort.
Dans cette « mise debout » se trouvent notre dignité et notre grandeur.
On vient de voir récemment à la télé le film « L’armée des ombres »  : au moment d’être fusillé, le héro, Gerbier, refusa de courir devant la mitrailleuse allemande. Ni la peur ni la mort, ni l’avilissement dans lequel voulait l’abaisser ses bourreaux n’ont eu raison de sa dignité. Il est mort vivant, debout.
Nous sommes plus grand que nous. Notre corps mortel est le véhicule de notre âme. Ce n’est pas que de la viande ou de la chair dont il faut se débarrasser vite fait bien fait comme le pensent certains. 
Dans nos corps, par l'(E)esprit qui nous habite, la Vie « surgit ». C’est par elle que la Mort est vaincue.

Quand l’inhumanité nous guette

Pour autant et pour que tout soit clair, je ne propose en aucun cas de désobéir aux ordres et aux « obligations ». Je n’invite pas à faire n’importe quoi et à rameuter le ban et l’arrière-ban pour participer à des obsèques, mais à réfléchir sur des moyens, des conditions, pour accompagner dignement et fraternellement nos frères humains à leur dernière demeure et soutenir leurs proches dans la désolation. J’ai esquissé plus haut quelques modalités.
Et plus que la question pratique et matérielle, voire liturgique -car la mort est une liturgie-, ce qui m’interroge c’est la question symbolique et spirituelle : comment rester des hommes et des femmes malgré les obligations ou contraintes qui nous sont proposées et qui nient ce qui fait de nous des êtres humains ?
Difficile équation que celle des funérailles et de la pandémie !
S’occuper à la fois des vivants et des morts : Pari impossible ?
Peut-être mais s’en tenir à la chair sans célébrer l’esprit ça me semble être du gagne-petit et ne nous fait pas grandir.
Question de regard intérieur ? de consentement libre et éclairé ? de lucidité ?
… Ou tout simplement d’Humanité ? De celle qui fait notre grandeur depuis des millénaires ? De celle promise à la spiritualisation du Monde…

Vers la spiritualisation du monde

Mon Dieu, que le chemin est long et ardu …
C’est vrai, dans l’Histoire humaine, les guerres, les épidémies de peste ou de choléra, les massacres, les catastrophes, les goulags, l’esclavage, etc… ont entaché le chemin de notre humanisation et l’homme ne s’est guère embarrassé de fournir des sépultures décentes à ceux qui trépassaient.
Aujourd’hui, quand nous disons « Ne recommençons plus comme avant », peut-être avons-nous là une occasion et une invitation à agir avec respect et dignité vis-à-vis de ces corps mortels promis non seulement à la terre-mère mais aussi à une plénitude d’Esprit.
Pour qu’ils ne soient pas morts pour rien, dans une profonde et douloureuse interrogation sur leur abandon.
Quand à mon titre du début, « Et si je meurs » … Rassurez-vous, je le ferai un jour …ou l’autre, mais pour être éternisé… et, à ce titre, j’entrerai dans la danse cosmique de la Vie, avec tous ceux qui ont fait ou feront leur passage…
Avec vous donc ! Que les retrouvailles soient belles !

Deux jours après avoir écrit cet article je voyais sur Facebook un témoignage bouleversant qui illustre concrètement mon propos. Vous pouvez le lire ici ou le retrouver directement sur Facebook

2 réponses sur “Et si je meurs ?”

  1. L’amour passe aussi par les brèches du cœur pour relire l’avenir…
    Ayant connu de près trois clochards, morts seuls et isolés, je sais que le lien persiste après la mort. J’ignore tout des raisons du vide qui les a habités toute leur vie : un père mort accidentellement au début de la guerre… Des bombardements… Rien de prévu, aucune aide pour les petits livrés à la rue, ils y sont restés tout simplement…

    Je pense très souvent à eux, leur souvenir me hante même : cinquante ans après, je prie toujours pour eux, un lien d’amour très particulier s’est reconstitué dans le silence des églises, je leur confie mes difficultés, certaine qu’ils m’aideront à les dépasser car ils ont ce pouvoir d’ouvrir le chemin du bonheur lorsqu’il semble muré : c’est sans doute parce qu’eux mêmes ont pu rencontrer ces murs d’incompréhension qu’ils peuvent maintenant passer par les brèches du cœur qu’ils n’ont jamais trouvé alors… C’est ce qui me fait dire aujourd’hui que l’amour ne meurt jamais.

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