Le confinement nous a saisi :Texte de F. Cassingena

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Comment ne pas partager ce beau texte de François Cassingena Trévédy qu’il vient de mettre sur sa page facebook ? Je vous avais rapidement présenté ici ce moine de l’abbaye de Ligugé .
Les photos sont des illustrations des émaux fait par lui.

Lettre aux amis confinés

Chers amis, après plus d’une semaine écoulée, je reprends le fil de mes réflexions que je vous partage, car en ces temps d’épreuve il fait bon nous rentre visite pour deviser de façon aussi constructive qu’il se peut.

Le confinement a saisi nos concitoyens et nous a saisis nous-mêmes dans des conditions variées: des conditions géographiques (urbaines, provinciales, rurales), des conditions sociales, des conditions familiales, des conditions matérielles, des conditions culturelles, des conditions spirituelles. Tous n’abordent pas l’épreuve à ressources égales, loin de là. D’où la nécessité de l’écoute, de l’entraide, de la compassion, de la mise en commun de nos vivres variés. C’est un nouveau commerce qui s’impose pour que l’épreuve n’accentue pas les inégalités et n’encourage point les égoïsmes.

La pandémie a surpris notre pays et beaucoup d’autres dans un état certain d’impréparation, pour ne pas dire davantage. Ces jours-ci au fil de ma « lectio divina » quotidienne (exercice vital qui, loin d’être réservé aux moines, est accessible à tout chrétien), je relisais les chapitres 40 à 48 de la Genèse, centrés sur la magnifique figure du patriarche Joseph: figure d’une étonnante actualité que cet intendant de Pharaon! Il avait su, fort à l’avance, prendre les dispositions nécessaires pour qu’une vaste population affrontât sept années de famine…
Eh bien, ce qui nous manque depuis trop longtemps, ici et là, ce sont des hommes de la carrure de Joseph. Car s’il est une Providence divine, elle ne passe que par la prévoyance des hommes et ne saurait se passer d’elle (nous ne serons jamais des assistés). Que d’imprévoyance, que de mensonges, que d’étourderie criminelle depuis le déclenchement de l’épidémie et depuis son premier épicentre! Un procès de Nuremberg a fait suite aux monstruosités de la deuxième Guerre Mondiale: on pourrait – il faudra envisager un procès analogue au lendemain de notre Grande Peste…

La pandémie, on le voit bien, frappe durement les mégapoles et questionne le gigantisme de notre prétendue civilisation, avec ses redoutables disparités sociales. Il faudrait revoir, après tout cela, l’échelle raisonnable de notre vivre. Peut-être fera-t-il bon redevenir un peu plus gaulois, ou gallo-romains, dans nos goûts, dans nos espaces et dans nos rêves… La mondialisation est indigeste, si elle ne trouve pas dans la prise de distance et le respect des différences les ressorts qui tempèrent son emballement.

L’on voit, à une échelle jusque là inconnue, ce à quoi aboutit le manque de chefs, ou le réveil tardif ce ceux qui avaient pourtant mandat officiel de l’être. Il y a au moins un fléau qui devra être mis hors d’état de nuire au lendemain de nos malheurs: c’est la politique fonctionnant pour elle-même, dans une insolente insouciance à l’endroit du bien commun. Le métier politique s’apparente depuis trop longtemps à une fin en soi, à un cache-misères, à un loisir de privilégiés, au lieu de remplir son austère mission de prévoyance et d’efficacité concrète. Notre gratitude va plus que jamais aux corps solides qui compensent, qui réparent en ces jours l’inconsistance et le dilettantisme de trop de responsables : aux soignants, à l’armée, aux pompiers. Elle va aussi à tous les corps de métiers obscurs dont le dévouement parfois héroïque nous sauve de la déroute complète.

Au milieu de l’écroulement contemporain je vois, j »entends, comme homme et comme apprenti croyant, trois instances qui tiennent.
La première est la Création à laquelle la suspension momentanée de nos frénésies offre une trêve et dont l’imperturbable printemps soutient notre frêle espérance.
La seconde, disponible à tout homme, est la Sainte Ecriture (instance ancrée dans l’histoire, nous le savons, mais transcendant et critiquant, dans sa majesté, toute réalité historique), la Sainte Ecriture envisagée non comme une recette magique ni comme la confirmation de scénarios apocalyptiques, mais comme l’incomparable forum d’une humanité en marche et en débat avec son Dieu caché (je pense aux Psaumes, à toutes les grandes pages d’Évangile que nous fait écouter jour après jour la liturgie du Carême jusqu’à la célébration de la Pâque, offerte à tous les hommes de bonne volonté).
La troisième est l’Amitié que l’épreuve traversée construit et fait resplendir déjà comme l’unique fondement indispensable du monde à venir; cette Amitié dont toutes nos petites causeries partagées sont l’essai et la promesse.

Il me semble important de revenir sur le fait, passablement tragique, que c’est dans un rassemblement religieux que l’épidémie a trouvé chez nous son principal foyer explosif. Cela donne à réfléchir. Cela met à mal toute une religiosité naïve, étourdie, mensongère (et beaucoup plus largement partagée qu’il ne paraît, hélas) qui promet à tour de bras des « guérisons ». Je me sens décidément une vocation particulière à le répéter, comme frère humain et comme moine en état de veille : notre image de Dieu, notre discours sur Dieu, notre comportement chrétien doivent ressortir eux aussi décapés et transfigurés de cette épreuve, dans le sens de cette modestie, de cette gravité, de ce sens de la cohérence que j’aimais à évoquer avec vous il y a quelques semaines. Le bisounours charismatique et la quincaillerie religieuse sont désormais irrecevables : c’est de la maturité qu’il nous faut. La foi véritable, toujours humble, ne nous dispense jamais de notre condition humaine: elle nous renvoie à nos responsabilités.

En pensant à vous, à notre commun « bateau », je pense aussi à ces mots que saint Paul s’était entendu dire au cœur de son naufrage: « Sois sans crainte, Paul! Voici que Dieu t’accorde la vie de tous ceux qui naviguent avec toi. » (Actes, 27, 24). Sur le pont, dans la fraternité de la Traversée pascale, faisons eucharistie commune de nos vivres.

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